Le monisme neutre : alternative au physicalisme ?

Première publication, octobre 2006 (révisée août 2015)

L’épiphénoménisme est la thèse qui admet l’existence de certains phénomènes mais qui leur dénie un effet quelconque dans le monde physique. Si comme Kim l’affirme le physicalisme n’est pas entièrement vrai, il existe alors un espace pour des propriétés mentales, mais celles-ci seront des épiphénomènes.

Le problème avec de telles propriétés, c’est qu’elles ne peuvent exercer aucun rôle dans la cause d’un effet physique. Ainsi, si une propriété comme celle, par exemple, d’éprouver une douleur n’exerce pas de travail causal, on dira d’elle qu’elle est épiphénoménale.

Ce que Kim nomme un « résidu mental » et que J.C Smart et H. Feigl, théoriciens de la thèse de l’identité esprit/cerveau, appelaient des « restes nomologiques » (nomological Danglers) sont les propriétés de la conscience.

Lorsque nous éprouvons une douleur nous expérimentons un état qui possède des caractéristiques qualitatives particulières. Avoir mal à la tête est un genre d’expérience de conscience qui possède certaines qualités très spéciales. Ces qualités sont appelées qualia. Les qualia sont les caractéristiques qualitatives de notre vie mentale que nous éprouvons lorsque nous avons mal à la tête par exemple, ou lorsque nous mangeons un petit morceau de madeleine trempée dans du thé.

Pour le fonctionnalisme, ce qui fait d’une douleur ce qu’elle est, ce n’est pas ce que cela fait pour un organisme d’être dans cet état, mais son rôle causal dans un ensemble de comportements psychologiques. Pour Kim, ces qualités spécifiques échappent au schéma fonctionnaliste. Devons-nous en conclure que les propriétés n’entrant pas dans le schéma fonctionnaliste doivent être éliminées ? Mais que faire d’un « résidu » qui ne peut trouver de place dans la structure causale du monde ? Autrement dit, que faire de qualités n’appartenant pas vraiment au monde physique ?

Ne pas pouvoir réduire une propriété mentale, comme la douleur par exemple, à une propriété physique de base a pour conséquence d’expulser la propriété irréductible vers l’inertie causale.

Le monde physique est causalement clos. Le principe de la clôture causale affirme que si un événement physique e2 est causé par un autre événement alors il existe un événement physique e1 qui le cause. Appliqué aux propriétés, ce principe affirme que si une propriété P est causalement efficace dans la cause d’un événement physique, alors P est une propriété physique. Un comportement, par exemple, est causé par un ensemble de muscles qui se contractent sous l’influence causale d’une certaine énergie chimique. Dans ce schéma physicaliste, les événements mentaux ne jouent pas de rôle causal. En conséquence, si le physicalisme n’est pas entièrement vrai comme l’écrit Kim, alors l’épiphénoménisme au sujet du mental est vrai.

Cependant, pouvons-nous réellement retirer tout travail causal à ces propriétés phénoménales ? Et si ces qualités spécifiques de la conscience qui nous apparaissent si différentes des qualités physiques étaient des qualités de deux expériences différentes de la même chose (cf U.T.  Place) !

En effet, l’expérience que nous faisons lorsque nous mangeons un petit morceau de madeleine trempée dans du thé possède bien certaines qualités particulières. Ces qualités sont des qualités d’une certaine activité neurophysiologique. Cependant, en imaginant l’observation de ces qualités neurophysiologiques par un scientifique, alors que nous mangeons ce petit morceau de madeleine, nous pouvons conclure que celles-ci seront différentes des qualités constituant notre expérience de conscience lorsque nous mangeons ce petit morceau de madeleine trempée dans du thé. Cependant, cette différence ne provient pas du fait que ces qualités appartiendraient à des genres différents de substances ou de domaines, comme les expériences de consciences appartiendraient au domaine mental et les expériences du neurophysiologiste au domaine physique. Non, les qualités de ces deux expériences appartiennent aux cerveaux !

Russell

En reconnaissant que les qualités phénoménales sont aussi des qualités de nos cerveaux, échappons-nous à l’opposition physique/mental ? Le « monisme neutre » est une thèse qui conteste le besoin de rechercher un lien entre le physique et le mental. Russell (1913) en défendant la thèse du « monisme neutre » affirmait[1], que le mental et le physique « ne diffèrent par aucune propriété intrinsèque […] mais seulement par leur disposition et leur contexte ».

Références

[1] Bertrand Russell [1913], « Le monisme neutre », dans Théorie de la connaissance, Paris, Vrin, 2002, trad. Jean-Michel Roy, chap. II, p. 27.

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