Le problème nommé « difficile » de la conscience est celui qui se heurte à la question : pourquoi les organismes sont-ils le sujet d’expériences de conscience phénoménale ? En 1995, David Chalmers, dans un article fondateur, initiant cette question, a ouvert un énorme champ de discussion[1]. Près d’un quart de siècle plus tard, il complète le « problème difficile » dans un second article intitulé : « The Meta-Problem of Consciouness ».
Un métaproblème est un problème au sujet d’un problème – on peut parler de problème de second ordre – et « Le métaproblème de la conscience est (dans sa première approximation) le problème de l’explication de la raison pour laquelle nous pensons qu’il existe un problème au sujet de la conscience », écrit David Chalmers au début de son article. Il s’agit donc d’expliquer pourquoi nous pensons et rendons compte de l’existence d’un problème au sujet de la conscience.
Le problème
Le problème de premier ordre consiste à chercher à expliquer pourquoi et comment un processus donne lieu à une expérience de conscience du type « d’un effet que cela fait… ». D’aucuns estiment, soutenant une thèse éliminativiste que le problème au sujet de la conscience phénoménale n’existe pas. D’autres, enquêtant à propos des intuitions sur lesquelles s’appuient les philosophes faisant émerger le problème, tentent de démontrer que les conceptions philosophiques à propos de la conscience phénoménales n’existent que pour les philosophes[2]. Enfin, une troisième posture, qu’il ne faut pas confondre avec la première (élimination), estiment que la conscience phénoménale est une illusion qui demande une explication physicaliste. Et contre ces scepticismes argumentés, la position réaliste, défendue entre autres par D. Chalmers, affirme qu’il existe un problème pour en rendre compte au moyen d’une perspective matérialiste. Aujourd’hui, le débat philosophique au sujet de la conscience semble se resserrer entre ces derniers – les réalistes – et les illusionnistes[3].
Le problème difficile de la conscience concerne donc la conscience phénoménale qui n’est autre qu’un point de vue en première personne se traduisant par quelque chose qui est ce que cela fait : ce que cela fait d’être moi, ce que cela fait d’avoir des émotions, des sensations, des expériences sensibles, visuelles etc. Ce sont ces données qu’une science de la conscience devra pouvoir expliquer.
Pour Chalmers, la distinction entre les problèmes faciles et les problèmes difficiles de la conscience est cruciale. Les problèmes « faciles » sont ceux qui tentent d’expliquer le comportement et les fonctions cognitives[4] des êtres conscients : la perception, la verbalisation, le contrôle des mouvements, l’intégration par l’organisme des informations, etc. Ces caractéristiques peuvent, ou pourront tôt ou tard, s’expliquer par la mise en évidence de mécanismes neuraux ou de phénomènes computationnels réalisant ces fonctions. Par exemple voir un objet, l’identifier, aller dans sa direction, s’en saisir…
Le problème « difficile » est, selon Chalmers, ce qui accompagne ces comportements et qui semble laissé de côté par les explications mécanistes ou computationnelles. La question du pourquoi est celle du phénomène de l’expérience : Pourquoi ne sommes-nous pas tout simplement des robots effectuant des tâches cognitives ?
Il semble donc que nous soyons en présence de ce que le philosophe Joseph Levine a nommé « un gouffre explicatif[5] » entre les processus physiques explicables en troisième personne et l’expérience subjective ressentie. C’est pourquoi, dans la mesure où les approches réductionnistes (le fonctionnalisme en particulier) ne peuvent combler ce fossé explicatif, il s’agit bien là d’un problème difficile.
Le métaproblème
Dans le second article, Chalmers sélectionne une fonction comportementale précisément liée au problème difficile consistant à produire des énoncés au sujet du problème difficile. En effet, pour exprimer quelque chose au sujet du problème difficile nous pouvons dire qu’il existe bel et bien, ou encore émettre un doute qu’il puisse se trouver résolu au moyen d’une approche physicaliste, etc. Ainsi, le métaproblème (dans une seconde approximation) est celui de l’explication de ce qui est verbalement rapporté au sujet du problème difficile[6]. Ce que note Chalmers ici, c’est que les mots qui sont prononcés par les personnes qui évoquent le problème difficile comme par exemple, « Je ne crois pas que la science parviendra à expliquer la conscience », ou « c’est un phénomène qui échappe au domaine physique », etc., sont des faits de comportement, autrement dit, ils appartiennent à la catégorie des problèmes « faciles » au sujet de la conscience ou pour le dire autrement, qu’on pourrait trouver le moyen de les expliquer en termes d’activités neuronales ou de computation. Toujours est-il que ces comportements verbaux entretiennent un lien avec le problème difficile et c’est ce lien qui aux yeux de Chalmers est au cœur de ce métaproblème.
Mais que pourrait être la conséquence d’une résolution du métaproblème sur le problème difficile lui-même ? Eh bien, nous dit Chalmers, si on parvenait à expliquer pourquoi et comment nous rendons compte du problème de la conscience cela nous indiquerait certainement quelque chose au sujet de la conscience elle-même. Selon lui, cela pourrait peut-être dissoudre le problème, à moins que sa résolution ouvre une forme de solution au problème de la conscience.
Si l’on considère que la conscience phénoménale est le produit d’une illusion, une solution au métaproblème aurait un effet de dissolution. C’est-à-dire que si l’on parvenait à expliquer au moyen de propriétés physiques comment le travail du cerveau produit ce phénomène d’illusion, alors le soi-disant problème se volatiliserait. Ainsi, résoudre le métaproblème pourrait être un projet important pour la thèse de l’illusion. De la même façon, cette résolution pourrait être tout aussi décisive pour élucider le problème difficile. C’est qu’il doit bien y avoir un lien entre ces jugements et la conscience elle-même.
En concevant le métaproblème, Chalmers a l’ambition d’ouvrir une nouvelle enquête empirique au sujet de la conscience : en psychologie expérimentale, en neurosciences, en intelligence artificielle. Ce serait un problème qui concernerait donc les scientifiques mais aussi les philosophes, que ceux-ci soient réductionnistes ou non, dualistes, illusionnistes… ou réalistes.
Dans son article, Chalmers précise que ce qui doit être expliqué, ce sont les intuitions qui sous-tendent ces verbalisations au sujet de la conscience. En fait, lorsque nous parlons de la conscience phénoménale, on peut dégager un grand nombre d’intuitions à propos de la conscience :
– Elle serait non physique.
– Elle serait difficile à expliquer.
– Elle nous permettrait d’apprendre de nouveaux faits.
– Nous aurions l’intuition qu’il puisse exister des êtres physiquement identiques à nous-mêmes mais sans qu’ils soient sujets d’expériences conscientes.
Ce qui devra expliquer ces verbalisations ne pourra pas mentionner la conscience phénoménale. En effet, vouloir résoudre le métaproblème nécessite que l’on ne convoque pas des notions liées à la subjectivité et autres qualia mais exige que l’on enquête au moyen d’explications physiques et fonctionnelles ou autres, pourvues qu’elles ne mentionnent pas des propriétés phénoménales. Ainsi, soit il sera possible d’expliquer ces intuitions en usant de termes neutres, soit cela ne se pourra pas, et dans ce cas, il faudra bien nous demander pourquoi ?
La suite de l’article consiste à examiner divers modèles susceptibles d’expliquer ces verbalisations comme par exemple l’usage de concepts phénoménaux qui sont indépendants des concepts physiques ; ou encore que nous avons un accès direct à ces phénomènes et une connaissance tout aussi directe. Chalmers après en liste une douzaine et résume en substance la situation :
1/ Nous déployons des concepts introspectifs qui sont indépendants de nos concepts physiques,
2/ ces concepts sont opaques car ils ne révèlent aucun des mécanismes physiques ou computationnels sous-jacents,
3/ nos modèles perceptuels attribuent des qualités perceptuelles primitives et
4/ nos modèles introspectifs attribuent à ces qualités des relations mentales primitives,
5/ ainsi, nous semblons avoir une connaissance immédiate que nous sommes en relation avec ces qualités primitives et nous avons le sentiment de les connaitre.
Le défi du méta-problème pour les réalistes au sujet de la conscience phénoménale
Une théorie complète de la conscience devra, selon Chalmers, pouvoir expliquer non seulement pourquoi nous sommes conscients mais aussi expliquer pourquoi nous pensons l’être[7]. Ainsi, si une théorie parvient un jour à expliquer le mécanisme de la conscience phénoménale alors on peut s’attendre à ce que cette théorie explique aussi nos jugements à propos de la conscience. Autrement dit, il doit exister un lien étroit entre la conscience phénoménale et les jugements à son sujet.
Ensuite Chalmers examine les théories qui candidatent à cette explication : La théorie de l’information intégrée (Tononi), les théories cognitives et de l’espace global de travail (Baars), Les théories représentationnelles et d’ordre supérieur (Rosenthal), les théories quantiques (Penrose), les théories panspychistes, etc.
Ces théories peuvent toutes prétendre nouer le problème difficile avec le métaproblème. Chalmers néanmoins en écarte une : le fonctionnalisme analytique (Armstrong). En effet, en soutenant que nos concepts de conscience sont des concepts jouant un rôle fonctionnel, ce fonctionnalisme rend équivalent les problèmes « faciles » et les problèmes « difficiles » et, de ce fait, il ne peut plus entrer en lice pour résoudre le métaproblème.
Mais le métaproblème peut-il vraiment être dénoué ? Six solutions sont alors examinées (trois non réductionnistes et trois réductionnistes) :
1/ Effectivement, on peut aussi penser qu’il ne sera jamais possible d’extraire la moindre explication au sujet du problème en termes neutres et qu’ainsi le métaproblème rejoindra le groupe de ces problèmes philosophiques dont la solution reste captive de sa composition. Au demeurant, on pourrait toujours soutenir la position réaliste mais celle-ci resterait inexpliquée.
2/ Une autre voie consistant à envisager que, bien que corrélée à ces comportements verbaux, la conscience ne joue aucun rôle dans nos verbalisations.
3/ A moins – autre solution – que c’est la conscience elle-même qui réalise les processus du métaproblème.
Dans la première de ces trois orientations non réductionnistes, on peut s’apercevoir que la conscience phénoménale conserve tout son crédit ontologique mais conduit dans la première perspective vers ce que Chalmers nomme une sorte d’orientation nihiliste du métaproblème. Les voies 2 et 3 constituent en revanche une recherche d’intégration de la conscience phénoménale au métaproblème.
Il n’en est pas de même pour les positions réductionnistes qui sont amenées à conclure que :
4/ La conscience phénoménale n’existe pas ; elle n’est qu’une illusion. En faisant ainsi appel à des propriétés spéciales attribuées par nos modèles introspectifs, on est victime d’une illusion.
5/ Une version faible de cette tendance est celle qui identifie la conscience phénoménale avec des états cognitifs comme la perception, l’attention ou l’accès conscient. Pour le dire autrement, la conscience phénoménale n’est pas autre chose que la conscience d’accès.
6/ La conscience phénoménale peut aussi être identifiée à un processus du métaproblème nous attribuant certains états spéciaux. Dans ce cas, quelques individus seulement pourraient alors être conscients au sens phénoménal. Identique à certains états du métaproblème, cette position indique clairement la fausseté des intuitions métaphysiques au sujet de la conscience phénoménale.
Selon ce faible illusionnisme (5 et 6), ce que l’on nomme « conscience phénoménale » existe mais n’est pas ce que l’on pense qu’elle est. En fait, selon ce point de vue, cette conscience n’est enfermée qu’en apparence au sein du domaine subjectif. En revanche, l’option forte (4), dissout littéralement le problème.
Illusionnisme contre réalisme
La stratégie de Chalmers dans la suite de cet article consiste à présenter un argument (debunking argument)[8] faisant valoir que s’il existe effectivement une explication satisfaisante de nos croyances au sujet de la conscience, indépendante de la conscience elle-même, alors nos croyances au sujet de la conscience ne sont pas justifiées.
Le type d’argument qu’utilise Chalmers se comprend selon des prémisses relatives à la formation de croyances d’un domaine pour conclure que ces croyances ne sont pas justifiées. L’idée de base est que si l’explication de nos croyances à propos de la conscience est indépendante de la conscience alors nos croyances le sont aussi. Ainsi, on ne pourra que penser qu’il s’agit d’une coïncidence que ces croyances soient correctes ; donc elles ne seront pas justifiées.
Examinant l’argument, tout en soutenant la position non réductionniste, Chalmers va défendre l’idée que la conscience joue un rôle constitutif de ces croyances et qu’ainsi ce que l’on doit justifier, ce ne sont pas les intuitions mais les croyances. La conscience pour Chalmers, et pour le réaliste en général, est justifiée par une connaissance immédiate et non par un lien de causalité. Autrement dit, ce n’est pas parce que nous aurions à notre disposition une explication causale dans laquelle la conscience ne jouerait aucun rôle que ces croyances ne seraient pas justifiées.
Ainsi, Chalmers, après avoir défendu l’idée de non-coïncidence entre les croyances au sujet de la conscience et la conscience elle-même, conclut que la thèse la plus prometteuse est celle de la réalisation qui devra expliquer comment se réalise les processus de métaproblème. L’objectif de la position réaliste étant d’évacuer l’argument qui discrédite (debunking) le soi-disant mythe de la conscience phénoménale.
La bataille argumentative au sujet de la conscience phénoménale aboutit alors à se resserrer autour des positions réalistes et illusionnistes dans leur version forte. Finalement, pour faire émerger le problème difficile, quel que soit l’axe de recherche explicative que l’on soutient, nous avons seulement besoin qu’il y ait réellement quelque chose qui se traduit par un effet que cela fait d’être soi. Le réaliste affirme que cet aspect phénoménal existe et que nous en avons une connaissance immédiate. En revanche, l’illusionniste doit le nier ou montrer l’incohérence de la position réaliste. Avec l’illusionnisme, inutile de chercher à sauver le problème difficile, il se dissout.
L’article se termine par un argument qu’un dialogue entre le réaliste et l’illusionniste illustre. L’argument est le suivant[9] :
1/ Parfois, les gens ressentent des douleurs.
2/ Si l’illusionnisme dans sa version forte est vrai, personne ne ressent de douleur.
3/ Donc l’illusionnisme est faux.
Face à cet argument, l’illusionniste cherchera à soutenir que les gens ressentent des douleurs mais pas comme un effet que cela fait, c’est-à-dire d’une manière non-phénoménale ou non-consciente. Mais ce que Chalmers met en cause dans l’explication illusionniste, c’est la cohérence du propos. Éprouver ou ressentir une douleur c’est faire l’expérience de la douleur. En vérité, l’illusionniste ne peut que dénier la première prémisse. Or, nier que les gens ressentent de la douleur revient à nier quelque chose d’apparemment évident – et qui semble indéniable. Alors pour éviter de s’opposer frontalement à cette prémisse, l’illusionniste pourra chercher à nuancer sa position entre ressentir en un sens faible, qui serait fonctionnel, et ressentir en un sens fort qui serait phénoménal. Le premier sens existant seulement. Or, ressentir une douleur est seulement phénoménal ! En conséquence, les illusionnistes sont bien amenés à nier les données évidentes au sujet de la conscience. S’ils n’adoptent pas cette ligne radicale, ils ne peuvent prétendre à la dissolution du problème.
Être illusionniste revient donc à affirmer que les sensations et les expériences ressenties sont seulement des états représentés par des modèles introspectifs et que ces états, au fond, n’existent pas. Or, parfois les gens ressentent des douleurs, et ce point de vue est plus évident que n’importe quelle conclusion d’argument philosophique, souligne en substance Chalmers dans son dialogue avec l’illusionniste.
Ce que reconnaît toutefois Chalmers à la position illusionniste c’est que sa position est dialectiquement plus intéressante que la sienne, mais être enclin, voire séduit par la recherche du contre-pied de l’évidence réaliste est une chose ; éprouver de la douleur en est une autre.
Enfin et pour conclure, Chalmers estime que pour chacune de ces options un véritable programme de recherche peut s’ouvrir car le métaproblème de la conscience ne doit pas être considéré comme un problème qui n’aurait pas solution.
*
Comme on le voit, le second article de Chalmers passe en revue les thèses disponibles au sujet du problème difficile de la conscience et cherche à poser un défi à chacune d’elle. Qu’elles soient réductionnistes ou non, résoudre le métaproblème qu’il instruit informera aussi bien les unes que les autres.
D’ailleurs, le projet initié par David Chalmers, comme l’atteste la dernière mouture du Journal of Consciousness Studies, Volume 26, que coordonne François Kammerrer pourrait bien avoir débuté. Dans ce numéro dédié au métaproblème, pas moins de 22 réponses discutent l’article de Chalmers.
Références
[1] “Facing Up to the Problem of Consciousness”, Journal of Consciousness Studies 2 (3):200-19.
[2] Sytsma, Justin and Ozdemir, Eyuphan, “No Problem: Evidence that the Concept of Phenomenal Consciousness is Not Widespread”, Journal of Consciousness Studies, 26, 2019, p. 241-256.
[3] On pourrait évoquer également l’impasse du mystérianisme de C. Mc Ginn ou encore dans une veine quelque peu similaire la stratégie de P. Ludwig et F. Drapeau Viera Contim qui, à défaut de fournir une explication physicaliste du phénomène de la conscience proposent de renforcer la méthode fonctionnelle et expliquent pourquoi nous sommes en présence d’un trou explicatif face aux qualités phénoménales. Voir « Le physicalisme peut-il s’accommoder du fossé explicatif ? », Matériaux philosophiques et scientifiques pour un matérialisme contemporain, sous la direction de M. Silberstein, éditions Matériologiques p. 841-917.
[4] Ces problèmes sont dits « faciles » non parce qu’ils seraient tous résolus mais parce qu’il existe un modèle permettant de les expliquer. Les sciences cognitives ne cessent de progresser pour résoudre ces types de problèmes.
[5] “Materialism and Qualia : The Explanatory Gap”, Pacific Philosophical Quarterly, 64, 1983, p. 354-361.
[6] Journal of Consciousness Studies, 25, No. 9–10, 2018, p. 7.
[7] « Consciousness and Cognition », 1994.
[8] Op. Cit., Chalmers, 2018, p. 44.
[9] Ibid., Chalmers, 2018, p. 53.
3 Commentaires
J’avoue que je n’ai pas tout lu ce coup-ci…
C’est vrai que par paresse ? obstination ? je me refuse à me documenter pour pouvoir employer le vocabulaire que vous employez pour parler de ces problèmes. Toute ma vie j’ai cherché comment un problème pouvait être posé dans une certaine niche, si vous voulez, pour voir comment il était posé… dans une autre niche…
Première remarque, politique, parce que les idées viennent de quelque part, tout comme la technologie.
Quelque chose me dit que David Chalmers est anglo-saxon. Américain ? (Moi aussi, d’ailleurs…)
Je constate à quel point notre vocabulaire, et nos idées, en Europe (et pas seulement) viennent de plus en plus des U.S. De plus en plus… notre langue, aussi.
Ceci… n’est pas du tout pour me plaire.
Vous pouvez m’objecter que la vérité (scientifique ? philosophique ?) est universelle, et qu’elle n’a pas de pays, mais je suis très sceptique sur ce point. Je crois que tout penseur se doit d’être sceptique sur ce point.
Il est intéressant que vous ayez posé le problème autour du phénomène de la douleur.
Oui, la douleur ne peut que nous interpeller en tant qu’êtres corporels. (Différence : corporel/matériel)
Mon fils et sa femme sont médecins.
Et après bac+10, et… des formations positivistes (américaines ?) très poussées, je les entends parler de patients pour qui la douleur… (ou la maladie) est dans la tête…
Ils en parlent parce que M et Mme Tout le Monde parlent de douleur dans la tête.
Or, le fait de dire que la douleur est dans la tête est une manière de DISQUALIFIER LA PAROLE du patient, et de dire que… la douleur n’existe pas réellement ! (En voilà une triste réalité..)
C’est une manière aussi de dire que les patients subissent.. l’illusion de la douleur, et que, cette illusion est une fiction… qui est un mensonge…(Je dois préciser que mon fils et sa femme, pas plus que M et Mme Tout le Monde, ne sont pas… conscients de la nature de leur… croyance, ni de sa portée.)
Il est navrant de devoir dire qu’à l’époque d’une médecine.. chiantifique à outrance, le fait que le médecin ne trouve pas une cause VISIBLE (j’insiste bien sur la cause visible, car la cause visible est une cause non médiatisée par les processus de la pensée) pour EXPLIQUER la douleur le met dans un état incroyable où il sent pleinement toute son impuissance, ce qui fait surgir… sa rage devant un patient qui met à mal… SA FOI dans la non-illusion (vérité…) de sa démarche.
L’invasion des appareils conduisant les médecins à croire qu’ils VOIENT les causes (de douleur ou autre) sans la médiation des processus de pensée (imagerie médicale) a appauvri la compétence, et le pouvoir des médecins, de mon point de vue (et pas seulement). (Là, je dois nuancer encore, car la tendance actuelle loge la vérité… du côté de la machine qui DIT la vérité, qui est visible, mesurable, quantifiable, alors que le praticien est réduit à… un exécutant ? UN PRETRE DE LA MACHINE ??)
Il y a un dicton (pondu au Paléolithique, et pas chez les Américains…) que VOIR, c’est CROIRE.
Du temps où je peux dire que je faisais de la recherche.. en psychanalyse, je peux dire que les personnes qui se croient… dans une niche pour parler de phénomènes comme « voir c’est croire » ont… plus d’illusions que ceux qui reconnaissent qu’elles n’ont aucune compétence pour parler de ces problèmes. Parce que ces personnes s’imaginent que ce que Monsieur et Madame Tout le Monde.. croient en dehors de leur niche n’a aucun impact sur ce qu’ils pensent dans l’endroit « loin de tout » de leur niche. Mais cette croyance, finalement, est une croyance naïve…
On a la naïveté (et la foi) qu’on peut..
En passant, je vous signale un vieil article d’Octave Mannoni que vous connaissez peut-être déjà, « Je sais bien mais quand-même » dans Les Clefs pour l’Imaginaire. Mannoni dit des choses très importantes, difficiles, et fructueuses sur le problème de la croyance. Cela pourrait vous intéresser, si vous ne le connaissez pas déjà. Et cela… n’a pas pris une ride. (Pas plus que Platon a pris une ride, d’ailleurs.)
Bon, je vous laisse ici, je ne vous dérangerai plus. Bonne recherche, et bonne continuation.
Cordialement.
Bonjour,
j’avais lu l’article facing up to the problem of consciousness en 1999 et il m’avait vraiment ouvert les yeux. Pendant quelques années je me suis considéré « Chalmersien ». Son dualisme soft me semblait une solution élégante, prenant réellement au sérieux le hard problem et ne souffrant pas des problèmes inhérents au dualisme classique de type cartésien (compatibilité avec les progrès des neuro-sciences, interaction de l’esprit et de la matière).
Jusqu’à ce je réalise que cette théorie souffre d’une contradiction – selon moi – insurmontable : qu’il appelle dans L’Esprit conscient, le « jugement phénoménal » qui correspond je pense à ce qu’il appelle désormais le « métaproblème de la conscience ».
La théorie de Chalmers implique la possibilité de zombies (des êtres en tout point semblables à nous si ce n’est qu’ils sont dépourvus d’expérience, de qualia). Ces zombies sont sensés être indiscernables d’un humain. Mais qu’en est-il du discours que nous tenons au sujet de notre conscience (comme de dire : « je ne pense pas que ce que je ressens puisse être produit uniquement par un assemblage de neurones »). Un zombie pourrait-il tenir ce genre de discours ? Si non, alors on peut distinguer un zombie d’un être humain, et donc la théorie de Chalmers s’effondre.
Si au contraire on affirme que des zombies (dépourvus d’expérience) peuvent tenir ce genre de discours, alors on doit défendre une position extrêmement périlleuse puisqu’alors il faut admettre que le fait que nous ayons des expériences n’est en rien la cause du fait que nous puissions émettre des jugements phénoménaux.
C’est le choix que fait Chalmers dans L’Esprit conscient, de manière courageuse, mais à mon avis désespérée, puisqu’il est obligé de soutenir la thèse absurde selon laquelle lui-même pourrait très bien être un zombie, qu’il ne s’en rendrait pas compte et que malgré tout il écrirait exactement les mêmes livres et défendrait les mêmes opinions.
Son argument est (je caricature un peu) : certes le fait que la conscience n’ait pas de lien causal avec les jugements phénoménaux semble absurde, mais essayer de donner une explication fonctionnelle à la conscience l’est encore plus, donc ça doit être vrai.
Je n’ai pas encore lu ce dernier article, mais d’après ce que vous en décrivez, j’ai quand même l’impression que Chalmers a fait un virage à 180° depuis l’Esprit conscient. Il n’évacue pas le problème comme il le faisait à l’époque, pour autant je pense que sa position reste intenable. A mon sens l’existence même du métaproblème prouve l’existence d’un lien de causalité entre l’expérience et le reste de nos fonctions cognitives, ce qui évacue le dualisme soft de Chalmers. A la rigueur, un dualisme à l’ancienne de type cartésien me semblerait encore préférable (au moins avec la glande pinéale, Descartes tente de proposer une explication au lien corps-esprit). mais la voie la plus raisonnable consiste je pense à reconnaitre que l’expérience a bien une explication fonctionnelle, même si elle est très difficile à trouver.
Auteur
Merci pour ce commentaire.
Pour Chalmers un zombie pourrait dire « je ne pense pas que ce que je ressens puisse être produit uniquement par un assemblage de neurones ». Un zombie pourrait même défendre une thèse illusionniste à propos de la conscience ou une position réaliste. C’est que la possibilité des zombies est une possibilité logique. C’est-à-dire qu’il n’est pas contradictoire de concevoir l’existence d’un zombie. Si je peux concevoir des zombies, alors, les états du cerveau peuvent exister sans la conscience. Distinguer un zombie d’un être humain conscient est impossible. L’accès à autrui n’est qu’en troisième personne.
Si les zombies, en revanche, n’étaient pas concevables, c’est-à-dire logiquement impossible, alors je serais capable de prouver que mon interlocuteur n’est pas un zombie. Mais je ne le peux pas. Donc ils sont possibles.
A mon avis cette inférence est très discutable. Mais on sait que l’argument des zombies est un argument souvent utilisé pour soutenir la thèse réaliste (avec l’argument de Jackson).
Notre accès, en première personne, à la conscience n’est pas de type inférentiel mais fait l’objet d’une connaissance directe. Le zombie n’a pas de connaissance directe de son « expérience » mais peut rendre compte verbalement de la conscience même si « tout est noir à l’intérieur » comme l’écrit Chalmers.
Dennett et les illusionnistes disent que nous sommes des robots ou des machines ou des zombies.
La position de Chalmers, quant à elle, reste inchangée depuis son article de 99. Le « hard Problem » demeure. Le métaproblème est une tentative d’ouvrir à nouveau la discussion sur la conscience en se focalisant sur les rapports que nous sommes amenés à faire au sujet du problème difficile.