Le tournant ontologique

Première publication, octobre 2006 (révisée août 2015)

Les philosophes Charlie B. Martin et John Heil écrivent que « la philosophie de l’esprit – et probablement la philosophie en général – a besoin d’une infusion de sérieux ontologique[1] ». John Heil (2003) ancre même le «sérieux ontologique» à l’honnêteté philosophique[2].

La structure du monde, objets, propriétés, états de choses, renouveau de la métaphysique dans l'école australienne

Le sérieux ontologique dont parle la philosophie australienne[3] est une façon de revenir sur le rapport que notre langage, nos pensées, d’une manière générale nos représentations, entretiennent avec le monde.

Nous avons, en effet, un accès direct à la manière dont nous pensons et parlons du monde. Devons-nous, au nom de cet accès particulier, faire dépendre du langage le monde non linguistique ? Devons-nous au nom de cet accès particulier ne plus parler que du langage et de ses applications ? En rendant dépendant du langage les éléments de la réalité, nous pourrions bien nous mettre à douter de l’existence de cette table sur lequel est posé cet écran. En effet, si nous donnons au langage le pouvoir de découper la réalité, nous rendons le monde non linguistique dépendant du langage. Cependant, si le monde est une construction linguistique, le langage semble s’extraire du monde. Pourtant, qu’on le veuille ou non, le monde a une ontologie ! Les philosophes et les philosophies au sujet du monde sont aussi des parties du monde.

Le tournant ontologique s’amorce lorsque l’on reconnaît que ce ne peut pas être par l’exploration de notre langage que pour pouvons prétendre découvrir véritablement des structures dans le monde. Ou pour le dire comme Frédéric Nef (2004), « de la structure du langage, on ne peut rien dériver quant à la structure des choses[4] ».

Le sérieux ontologique consiste alors à partir à la recherche des vérités ontologiques. De telles vérités incluent des éléments empiriques. Cela ne signifie pas que les seuls éléments empiriques pourront nous apporter une claire et complète compréhension de ce qu’est l’esprit par exemple. Ce ne sont pas les seules avancées dans les sciences cognitives qui sont susceptibles de nous donner une image convenable de l’esprit. Non, une vérité ontologique consisterait plutôt à fournir une structure unifiante à l’intérieur de laquelle les différentes sciences pourraient trouver une place. En effet, la métaphysique ne se pose pas en réfutation des sciences empiriques, comme si elle poursuivait de son côté un objectif scientifique particulier. Elle est plutôt une tentative de réconciliation des sciences avec nos expériences ordinaires. L’ontologie cherche à définir des entités et des classes d’entités. Elle est l’incontournable complément de la science.

D’emblée, un tel point de vue s’oppose à l’idée qu’un critère linguistique nous permettrait de décider ou non de l’existence d’un élément du monde. Si nous assertons par exemple que la personne x ressent une douleur et que cette assertion est vraie. Nous en tenant à ce critère linguistique, nous pourrions alors affirmer notre réalisme au sujet de la douleur. x ressent réellement une douleur, autrement dit, notre attribution de la douleur à x est littéralement vraie. Au prédicat « ressentir une douleur », la position réaliste implique alors l’existence d’une certaine propriété que x possède. Cependant, le même prédicat peut aussi s’appliquer correctement à un chien, à un poulpe, voire à un habitant d’une planète lointaine. Devrions-nous en conclure que toutes ces créatures partagent la même propriété en vertu de l’application adéquate du prédicat « ressentir une douleur » ? De la vérité d’un prédicat (langage) à l’engagement ontologique en faveur d’une propriété d’une chose dans le monde, il y a un pas métaphysique que l’on peut franchement hésiter à faire.

Références

[1] Martin, C.B and J. Heil « The Ontological Turn » Midwest Studies in Philosophy, 23, (1999) p. 34-60.

[2] Heil, J. From an Ontological Point of View, (2003) Oxford: Oxford University Press .

[3] Lire en particulier la préface de J.M Monnoyer dans La Structure du monde, Objets, propriétés, états de choses, éd. J.M Monnoyer, (2004) Paris, Vrin.

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