Science, religion, métaphysique

Alors que les scientifiques d’aujourd’hui, croyants ou non, ont cessé d’invoquer directement Dieu pour expliquer les phénomènes naturels, on voit émerger, depuis près d’une quarantaine d’années, une tentative de dialogue entre les deux domaines. Initié principalement par des philosophes de la tradition analytique au tempérament religieux, une discussion argumentée mettant en question une certaine forme de naturalisme pose les bases de ce dialogue. La rencontre entre la science et la religion est-elle alors possible ?

Dieu mesure le Monde, enluminure XIIIe siècle

Dieu mesure le Monde, enluminure XIIIe siècle

La science, la religion et la philosophie entretiennent des liens séculaires. Longtemps inséparable de la science, la philosophie – au moins certains secteurs – lui reste étroitement liée[1]. A l’opposé, la relation entre la religion et la science, suite aux combats qui ont émaillé son histoire, s’est dissoute dans un consensus, chacun s’étant mis alors à suivre des chemins parallèles[2]. Toutefois, à partir des années 1980-1990 du siècle dernier, on a pu remarquer non seulement des appels au dialogue entre les deux domaines mais un glissement de la querelle sur le terrain philosophique[3]. Le conflit entre la science et la religion ne serait, selon le théisme, que superficiel et tendrait à la concorde, voire à la complémentarité. En revanche, l’alliance entre le naturalisme et la science serait, elle, superficielle et grosse d’un profond antagonisme. Dans ce renversement de la dispute, un nouvel ordre philosophique pourrait alors présider à ce dialogue redevenu fécond entre la science et la théologie. La première informant la seconde de ses résultats et en retour, la seconde accueillant ces conclusions afin d’en distiller le sens[4]. Ainsi, alors que pour certains (a) c’est la conciliation entre la science et la religion qui aujourd’hui prévaut[5], voire qu’une collaboration déjà se noue[6], pour d’autres (b) c’est la distinction entre deux formes de pensée qu’il faut maintenir[7], ou plus frontalement, reconnaître la réalité d’un conflit et d’en assumer les conséquences[8].

Le billet ci-dessous soutient (b) la distinction entre les deux formes de pensées.

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Le naturalisme

Pour expliquer les phénomènes naturels, la science ne fait jamais appel à des entités surnaturelles. On peut alors parler à son sujet d’un « naturalisme méthodologique ». Le naturalisme apparaît ici comme la condition minimale contraignant une activité de connaissance afin d’en faire d’une science conforme. Ainsi entendu, le naturalisme paraît exprimer une certaine neutralité quant à l’existence d’un système causal qui se déroberait aux exigences d’êtres situés dans l’espace et le temps. Autrement dit, une telle position, sans rejeter l’existence d’entités surnaturelles, les juge superflues lorsqu’il s’agit d’expliquer les phénomènes empiriques. C’est pourquoi, selon cette thèse, il n’existe rien dont l’explication exige que l’on fasse référence à quelque chose d’extérieur à l’ordre causal de la nature : un dieu créateur, une âme immatérielle, voire des miracles. Toutefois, en s’adossant à la métaphysique, le naturalisme devient une thèse qui soutient que les entités surnaturelles n’existent pas. Une telle appréciation vient du fait que notre connaissance de la nature ne nous apporte aucune raison de croire qu’il existe une réalité surnaturelle. Il devient alors un naturalisme ontologique soutenant que le monde naturel est tout ce qui existe[9].

Un naturalisme ontologique global peut alors conduire jusqu’à écarter de son ontologie les objets abstraits de tout genre, comme les ensembles, les nombres, les propositions, les propriétés et les relations considérées dans le sens d’entités non spatio-temporelles. Une version locale, tout en affirmant que l’univers comprends seulement des entités étudiées par les sciences naturelles, peut, quant à elle, accepter les objets abstraits dans son ontologie. Un naturaliste peut alors soutenir une position au sujet de la réalité (ce qui existe dans l’espace et le temps) qu’il considérera comme entièrement concrète. Pour le dire autrement, ce naturaliste soutiendra qu’une réalité concrète non physique n’existe pas. Toutefois, rien ne l’empêchera de se référer à un domaine immatériel – qui peut être celui des entités abstraites, voire du mental -, pour peu que les catégories qui le constitue n’aient pas d’existence indépendante de la matière. Ainsi à la question « qu’est-ce qui existe ? » ce naturaliste ontologique, qui est un matérialiste, arguera que ce qui existe c’est de la matière et rien d’autre.

On peut aussi être naturaliste sans être matérialiste ou physicaliste au sujet du monde naturel comme Thomas Nagel[10] qui, soutenant que la conscience est subjective et que c’est un fait irréductible, spécule sur une alternative à la physique comme théorie globale sans faire appel à un être transcendant ou comme John Searle[11] qui rejette la position qu’une compréhension unifiée de la science soit possible.

Comme on le voit la thèse naturaliste peut s’exprimer de multiples façons, être doté de toutes sortes de significations, avoir une portée ou une force plus ou moins grande[12], recevoir l’adhésion plus ou moins nuancée de la plupart des philosophes[13], néanmoins, malgré sa grande variété d’approches, on peut lui attribuer deux caractéristiques : le prolongement métaphysique de l’activité scientifique qui considère que l’univers est soumis à des processus naturels et le rejet de la pertinence du surnaturel à l’intérieur du domaine de la science. C’est pourquoi le naturalisme est devenu le garant du sérieux épistémique présidant à toute activité qui se désigne comme science.

Le « nouveau » dialogue entre la science et religion

Exclure les entités surnaturelles pour expliquer les phénomènes naturels (naturalisme méthodologique) peut cependant, par extension, signifier tout simplement que ces entités n’ont pas besoin d’exister (naturalisme ontologique). En effet, vouloir faire appel à ces dernières peut sembler nous détourner d’une véritable explication. Par exemple, une procession organisée pour faire tomber la pluie qui serait suivie le lendemain de fortes précipitations pourrait s’expliquer comme le fruit de la prière d’intercession ou… en termes de courant d’air ascendant suffisamment humide pour donner naissance à un cumulus pendant la nuit. C’est ainsi que l’idée que l’on puisse tisser un lien fécond entre la dimension spatio-temporelle, qui est la dimension de notre monde à l’intérieur duquel la causalité prend tout son sens, et le surnaturel peut apparaître comme un défi à l’intelligible.

Ce point de vue, on le sait, n’a pas toujours prévalu. Copernic et Newton croyaient que Dieu avait créé l’ordre naturel gouverné par des lois. En effet, si la gravité explique le mouvement des planètes, elle ne peut expliquer qui a mis les planètes en mouvement[14]. Mais ils croyaient également que Dieu avait créé les hommes à son image leur permettant de découvrir cet ordre par l’usage de la perception et de la raison. Cet usage même qui définit la science empirique. On sait aussi qu’avant que Darwin expose sa théorie de la sélection naturelle, il était presque impossible d’imaginer autre chose à l’œuvre qu’une intelligence suprême. La complexité des formes de vie partout sur la planète, l’extraordinaire adaptation des sens et des organes des animaux permettant qu’ils remplissent des rôles indispensables à leur survie, semblait nécessiter la présence d’un concepteur.

Néanmoins, en dépit des relations tumultueuses entre la science et la religion, la méthode naturaliste continuera, au fil du temps, son inexorable poussée contre les hypothèses faisant appel à des interventions qui nécessitent, en plus de notre usage de la perception et de la raison, de posséder un sensus divinitatis.

Aujourd’hui, l’autorité de la science sous couvert d’un naturalisme méthodologique ne se trouve plus vraiment contestée. La forme de pensée qui se manifeste par l’adhésion à des vérités préétablies, et que certains philosophes théistes tentent de légitimer à l’intérieur d’un modèle épistémique intégrant la croyance religieuse, pourrait s’avérer n’être alors qu’une tentative ultime de défendre « l’honneur épistémique des croyants[15] » mais ce n’est pas le cas.

L'Impossible Dialogue: Sciences et religions by [Gingras, Yves]

C’est ce que montre, entre autres, Yves Gingras, dans son livre L’impossible dialogue – sciences et religions[16]. Après que la science soit parvenue à s’autonomiser, que les scientifiques croyants aient cessé d’invoquer directement Dieu pour expliquer un phénomène naturel relevant de leur spécialité, on assiste, depuis près d’une quarantaine d’années, à la recherche d’un « dialogue » entre les deux domaines qui est le fait des tenants d’une pensée religieuse. Cela se traduit en philosophie, par un regain d’intérêt – et pour beaucoup venu de la tradition analytique[17] –  pour la théologie philosophique, la théologie naturelle, l’épistémologie des croyances religieuses, les discussions sur les arguments théistes, l’analyse du concept de Dieu, etc., autant de programmes susceptibles d’entrer en débat avec le naturalisme ontologique. Cet intérêt philosophique n’est en aucun cas animé par un projet de remise en cause des théories de la science. Bien au contraire, ce retour du « dialogue », initié par des partisans de la concorde voire de la complémentarité entre les deux domaines, repose sur la légitimation d’une autorité incontestée de la science, « cette splendeur intellectuelle » comme la nomme le philosophe chrétien Alvin Plantinga[18].

Ajoutons encore que cet esprit de concorde prend non seulement en compte les théories standard de la science (l’évolution des espèces, la relativité générale, la physique quantique, etc.) mais aussi les résultats quelquefois paradoxaux de certaines de ces théories, leurs caractères inachevés ou semblant irréductibles au domaine physique – ce qui est parfois l’occasion d’une première mise en cause du naturalisme.

C’est vrai que la théorie quantique, par exemple, qui fait autorité pour la précision de ses prédictions et sa puissance explicative, regorge de surprises et nous impose de revoir la manière dont nous concevons la matière. Elle nous décrit un monde où une particule peut être dans un mélange de plusieurs états, voire se trouver dans une infinité d’endroits à la fois, un monde où la mesure probabiliste ouvre sur de l’indéterminisme. Quant à la théorie de la gravitation qui nous calcule un retour vers le passé où plus les dimensions de l’univers observable diminuent, plus la température augmente ainsi que la densité jusqu’à tomber sur un univers de taille nulle auquel on associe une température infinie, une densité infinie, un volume nul…, n’ouvre-t-elle pas la grande question de l’origine de l’univers ? Et que dire, dans le domaine des neurosciences de la difficile, et pour certains impossible, réduction de la conscience à un processus neuronal ? Cette conséquence ne nous impose-t-elle pas de nous demander comment la matière pourrait bien être associée à la subjectivité ?

Tous ces changements scientifiques et les incertitudes produites par ces résultats partiels sont propices à d’audacieuses interprétations où se profile un « autre niveau de réalité » (physique quantique) ou le retour de la question théiste de l’origine (théorie du Big Bang) ou encore la réhabilitation d’un lien entre les deux domaines que constitue la matière et l’esprit (le caractère irréductible de la conscience). Un naturaliste prudent, quant à lui conviendra que la physique quantique pose des problèmes sérieux d’interprétation, que le déterminisme est une thèse métaphysique et qu’il faut bien prendre soin de la distinguer de la possibilité de faire des prédictions ;  que l’instant zéro auquel nous conduit les extrapolations à partir des équations d’Enstein basées sur la seule force de la gravitation ne permet pas véritablement de parler d’origine de l’univers ; que la difficulté que connait la science physique à caractériser le phénomène de la conscience ne nous impose nullement de postuler l’existence d’un domaine mental autonome.

Malgré cette tendance à échafauder au-delà de la méthode naturaliste de « formidables » hypothèses, la thèse de la concorde ne va cependant jamais à l’encontre du consensus scientifique dominant mais cherche plutôt à déplacer le vieux conflit entre la science et la religion sur le terrain philosophique entre la science et le naturalisme. Comme le précise Plantinga : « le conflit entre la science et la religion théiste est superficiel alors qu’un conflit profond existe entre la science et le naturalisme[19] ».

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Dieu, l’homme et le monde

Pour les philosophes chrétiens de la tradition analytique, la religion ne se résume pas à une posture intellectuelle obscure que condenserait une expérience intime devant être interprétée d’un point de vue phénoménologique[20]. Non. La croyance en DIeu est ici étayée par une philosophie de l’argument prônant le plus souvent un réalisme théologique[21]. De ce fait, elle se démarque d’une foi donnant le primat à la pratique et à l’expérience vécue. Elle s’appuie donc sur le dogme chrétien selon lequel Dieu est une personne qui a créé le monde et le maintient. C’est donc Lui qui garantit l’exécution des lois naturelles et l’existence des êtres humains et, ce, à chaque instant. Pour résumer, Dieu fournit l’explication ultime de l’univers, exception faite des décisions libres qu’il permet aux êtres humains de prendre.

Ce qui fonde cette harmonie entre la science et le « surnaturalisme » est donc avant tout la vérité de l’énoncé « Dieu existe. » Que cette vérité soit portée par une croyance de base ou irrésistible[22] ou démontrée par des arguments[23], c’est bien cette relation particulière entre l’homme et Dieu qui non seulement hisse l’explication théiste au niveau explicatif de la science mais tente de la déborder jusqu’à vouloir l’absorber en éclairant ce qui la rend possible.

Le conflit entre l’explication naturaliste et théiste provient donc du réquisit que contient la première, à savoir que la seconde n’est en rien nécessaire pour mener l’enquête au sujet du monde naturel. Pour le dire brutalement que Dieu est superflu[24] ! Mais la théologie naturelle, remise en selle par la philosophie analytique[25],  tire, quant à elle, nombre d’arguments qu’elle essaie d’élever incorporant la personne de Dieu afin d’ouvrir une perspective explicative finale, au niveau de la justification des croyances scientifiques[26]. C’est ainsi que, s’appuyant sur la quête des êtres humains pour une explication ultime, là où le naturalisme n’a que des réponses en termes d’observation, de mesure et d’expérience à proposer, l’hypothèse que Dieu existe et que sa toute-puissance est à l’œuvre depuis l’origine fournit une explication qui s’étend bien au-delà de ce que la science n’a pas encore expliqué. Richard Swinburne, éminent représentant de cette théologie philosophique écrit :

« Je postule un Dieu pour expliquer ce que la science explique ; je ne nie pas que la science fournisse des explications mais je postule Dieu pour expliquer ce que la science peut expliquer[27]. »

Swinburne

Toutefois, dans le conflit qui l’oppose au naturalisme, l’hypothèse de Dieu n’est, pour le théisme de la concorde, qu’un premier pas. Il doit pouvoir montrer pourquoi le sérieux épistémologique a changé de camp. En effet, si les arguments de la théologie naturelle fournissent un complément explicatif ultime, ils ne suffisent pas à écarter le naturalisme ontologique qui donne ses propres réponses à ce qui touche l’ultime vérité des choses : le monde est entièrement composé de matière et celle-ci a toujours existé. Quant aux êtres humains, ils sont, selon cette thèse, seulement des complexes de configurations de choses matérielles.

C’est pourquoi, maintenant que le théisme reconnait l’autorité de la science, il s’agit, pour lui, de faire entrer en cohérence l’entité surnaturelle, le monde naturel et l’homme. Ainsi, au-delà de la concorde, c’est la complémentarité entre les domaines qui est visée, ou pour le dire autrement que le naturel et le surnaturel non seulement n’entrent plus en conflit mais se soutiennent, pouvant ainsi démontrer que le soi-disant conflit entre la science et la religion n’était qu’un phénomène superficiel.

*

D’emblée, il ne semble pourtant pas qu’une conception scientifique du monde, si l’on examine par exemple la théorie de l’évolution, soit consistante avec la croyance que Dieu ait créé l’homme à son image. Grave erreur ! affirmera le philosophe théiste analytique. C’est à partir de la relation même que Dieu entretient avec le monde naturel et l’homme, qu’il devient raisonnable de considérer que nos facultés rationnelles et perceptuelles sont fiables – et qu’en partie la théorie de l’évolution exprime une vérité. Et de là, qu’il s’ensuit qu’il est aussi raisonnable de croire que, d’une manière générale les théories scientifiques que nous échafaudons nous offrent la possibilité de décrire la réalité et de soutenir un réalisme métaphysique. En revanche, nuancera le théiste, la théorie aveugle de Darwin ne nous permet pas de considérer que nos facultés rationnelles et perceptuelles sont fiables et par conséquent que nos théories nous offrent la possibilité de décrire la réalité. En effet, si l’on en croit l’explication naturaliste que les croyances sont des états du cerveau que la sélection naturelle a mécaniquement favorisé puis renforcé dans la mesure où elles ont contribué à la survie de leurs porteurs, cela n’apporte pas les moyens de justifier de leur fiabilité. Ainsi, pour l’épistémologue chrétien, le contenu de nos croyances, ainsi que leur vérité ou leur fausseté, ne sont pas pertinents pour qu’un organisme soit adapté à son milieu. Pour le dire autrement, si l’on soutient le naturalisme ontologique, nos facultés cognitives n’ont pas pour fonction d’accéder à la vérité. De ce fait, ne pouvant faire confiance à nos croyances, le naturalisme comme méthode demeure l’outil pratique de la science mais, d’un point de vue ontologique, devient un obstacle à ce qui fonde sa véracité. Mais attention, l’épistémologue chrétien partage avec le naturaliste qu’il existe un mécanisme évolutif, que les différentes espèces ont un ancêtre commun et que la vie trouve son origine à partir d’une soupe primitive qui s’est formée lors du refroidissement de la terre il y a 4 milliards d’années. Toutefois, ce processus, et c’est le fondement de son épistémologie[28], a été d’une certaine manière guidée par Dieu. Un processus, résultat de mutations génétiques aléatoires et d’une sélection naturelle ne peut, selon le théisme, constituer un socle fiable pour nos croyances. C’est ici que l’on atteint le cœur de ce qui fonde la réconciliation entre les deux domaines : la foi en Dieu.

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Sensus Divinitatis

Ce qui est, en effet, au centre de la théorie de la connaissance de l’épistémologue chrétien et ce qui, à ses yeux, permet d’expliquer pourquoi la science est florissante c’est la foi, ce « cadeau de Dieu » qui est à la source des croyances fiables que nous formons[29]. C’est le sens divin (Sensus Divinitatis) dont Dieu a doté les hommes et qui les incite à croire en lui[30]. Une foi qui n’est pas le fruit d’une inférence à l’intérieur d’un argument, mais une foi innée qui ressemble aux facultés de la perception, à la mémoire, à la connaissance a priori[31], une foi, produite par Dieu et qui précisément permet cet ajustement entre l’ordre naturel et l’esprit.

La métaphysique

C’est donc en réaffirmant qu’un principe spirituel est à l’origine de l’existence de l’univers, de son ordre et de sa finalité, que le théisme non seulement réinstalle le dialogue avec la religion mais relègue le naturalisme à un principe méthodologique de portée limitée. En effet, outre l’argument épistémologique qui cherche à montrer que le naturalisme ontologique et la théorie de l’évolution ne sont pas compatibles, le théisme légitime l’existence des interventions surnaturelles (miracles) ou, en raison du caractère indéterministe de la théorie quantique, justifie et soutient parfois un libre arbitre absolu ou encore démontre que l’ajustement des valeurs des principales constantes de la nature qui rendent possible la vie (fine-tuning) ne peut être que l’œuvre d’un créateur. Mais ce n’est pas tout. Le théisme est une métaphysique qui investit nombre de questions qu’il serait vain d’aller chercher dans les théories scientifiques : « Pourquoi le monde existe-t-il ? », « Quelle place y avons-nous ? » » ou « Qu’est-ce que la mort ? », « La vie – est-elle une mécanique ? » ou « Qui suis-je ? » et « D’où vient ma volonté ? », « Est-elle libre ? »

A ces questions métaphysiques, la religion donne une réponse. Celle des chrétiens, par exemple, est celle de la Bible. On y trouve la description complète du sort de l’homme, de la création à l’éternité future. Autrement dit, la vie de l’être humain a un sens et c’est celui que Dieu lui donne. Face à ce comportement religieux, le naturalisme décrit un être humain qui émerge à un moment de l’évolution et ne sert aucun but. La vie de l’homme, en dehors des significations subjectives qu’il imagine, n’a aucun sens. En effet, comme l’écrit Daniel Dennett : « [Darwin] explique un monde de causes finales et de lois téléologiques avec un principe qui est, sans aucun doute mécaniste, mais qui, plus fondamentalement est totalement indépendant de la « signification » et du « but ». Il présuppose un monde qui est absurde au sens existentialiste du terme[32]. »

Ainsi, alors que l’hypothèse théiste, grande pourvoyeuse de réponses métaphysiques, fournit une explication à ce que vous êtes et à ce que vous faites en ce monde, le naturalisme, lui, semble dissoudre ce genre de questions. Cependant, la métaphysique qui n’est pas la théologie, ne peut se satisfaire de cette dissolution, et se doit de prendre en considération ce désir de comprendre l’univers et la place que nous y occupons. En effet, puisque le besoin de métaphysique est inhérent à notre condition d’être rationnel, il continuera donc d’animer toute personne ayant un cerveau. Toutefois, bien que les questions qu’elle soulève se posent à l’homme depuis que la philosophie existe et que leurs réponses ne sont pas encore connues, voire qu’elles ne le seront peut-être jamais, la métaphysique propose néanmoins des réponses et ces réponses se trouvent mises en compétition avec d’autres, et il n’est, de ce fait, pas possible qu’elles soient toutes vraies.

De la sorte, la métaphysique questionne sans arbitraire ni dogmatisme les problèmes les plus fondamentaux de l’existence. Ces problèmes sont fondamentaux car la réponse métaphysique que l’on peut soutenir peut avoir des répercussions dans de multiples domaines, en l’occurrence dans les sciences ou la religion. Si l’on soutient, par exemple, qu’il existe des choses comme des dispositions et des pouvoirs, c’est la compréhension de la nature fondamentale de la réalité que la science découvre qui s’en trouvera modifiée. Si l’on argumente en faveur du réductionnisme ou si l’on défend l’idée que la conscience subjective est irréductible, cela aura des conséquences sur la conception de ce que l’on entend par esprit lorsque les neurosciences nous livrent leurs données sur le cerveau. Et si l’on interroge la théorie matérialiste de l’évolution, en questionnant la possibilité que l’esprit émerge de la matière, c’est le modèle même de la biologie évolutionniste qui sera interrogé. Et si nous avons des raisons sérieuses de soutenir le matérialisme et la non existence des âmes, ce sont les présupposés fondamentaux de la religion théiste qui seront ébranlés. De la sorte, ce que la métaphysique nous offre ne ressemble pas à un résultat scientifique, qui demeure le meilleur moyen de connaître le monde, ni à une vérité absolue, qui ne serait qu’un substitut grotesque à une métaphysique sérieuse, mais s’apparente, par certains de ses aspects, à une activité de discernement cherchant à comprendre, plutôt que seulement décrire, le monde qui est le nôtre.

La concorde en question

La quête de la concorde entre la science et la religion s’appuie donc sur l’hypothèse de l’existence d’une personne immatérielle qui a créé le monde, le maintient et parfois y intervient. Les arguments qui tendent à discréditer le naturalisme ontologique reposent donc sur une métaphysique surnaturelle qui certes ne court pas le risque d’être remise en cause par la science empirique mais pourrait bien faire sombrer ceux à qui il manque le sensus divinitatus dans une sorte de panique cognitive. En effet, la métaphysique théiste fait face à des difficultés dirimantes lorsque l’on cherche à l’appréhender à l’aide de nos catégories ontologiques habituelles. Poser une cause surnaturelle à d’un événement naturel, nous confronte à des problèmes insolubles. C’est pourquoi le dialogue qu’ambitionne la théologie philosophique en vue d’aboutir, bien au-delà d’un simple consensus, à une vision harmonieuse et complémentaire entre la science et la croyance religieuse, pourrait bien être une voie impraticable. Il n’en demeure pas moins, qu’en vertu du questionnement métaphysique, qualifié précédemment sans arbitraire ni dogmatisme, le naturalisme ontologique est une thèse philosophique que l’on est en droit d’examiner voire de remettre en question. Cependant, comment ne pas reconnaître que l’apport méthodologique du naturalisme dirige nos regards vers une véritable explication des phénomènes physiques ? La théorie de l’évolution par exemple ne brise-t-elle pas littéralement le cercle prodigieux dans lequel l’argument du concepteur immatériel avait enfermé la science ?

La relation entre le surnaturel et le naturel

Afin d’illustrer l’écart entre une métaphysique naturelle et une métaphysique surnaturelle, la notion de miracle[33] nous donne de bonnes raisons de penser que la réconciliation entre le naturalisme méthodologique qui préside à toute science et le théisme n’est en fait pas possible. En effet, le naturalisme méthodologique, que ne remet pas en question l’épistémologue chrétien, n’est pas seulement une bonne pratique de l’activité scientifique, mais porte une métaphysique qui ne peut rester neutre quant au surnaturel.

On présente souvent les miracles comme des violations des lois de nature, voire une suspension temporaire de ces lois[34]. L’eau changé en vin ou la résurrection d’une personne morte ne peuvent être, en effet, que des miracles. Aucune explication scientifique n’est susceptible de venir rendre compte de tels événements qui apparaissent comme de véritables dérogations aux lois de la nature. Il n’est toutefois pas surprenant, étant donné les conditions extraordinaires qui sont la cause de l’événement inouï, qu’il en soit ainsi. On peut, en effet, concevoir que la présence d’une personne surnaturelle qui serait à l’initiative d’un événement d’ordre physique puisse dépasser l’espace d’application des lois de nature et non violer ces lois. Comme l’écrit Saint Thomas, les miracles sont des « œuvres accomplies par Dieu en dehors du cours normal des choses[35]. » Ainsi, pace Hume[36], ce ne serait pas tant la transgression de la loi de nature que l’extension du domaine d’un pouvoir qui définirait l’événement inexpliqué. Par conséquent, ce qui pourrait orienter le scepticisme du philosophe dénué du sens divin, qui doit faire face à un événement inexpliqué au sujet duquel une cause surnaturelle est subodorée, ne serait pas comme Hume le proposait la pesée du témoignage et de l’événement inexpliqué, mais plutôt la nature de sa cause.

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On peut admettre que la science soit impuissante à expliquer un événement remarquable et que face à cette difficulté, imaginer qu’elle concède l’hypothèse qu’un agent surnaturel en soit la cause. Surtout si l’événement inexpliqué est un événement sans précédent (comme le sont souvent les miracles). Cependant, une telle hypothèse ne constituerait en rien le début d’une explication. En effet, lorsque la science examine et explique un phénomène physique, elle fait appel à des propriétés physiques. Certes ce qui entre dans une explication peut varier. La gamme des propriétés physiques est diverse et ces propriétés peuvent appartenir à différents domaines, (chimique, biologique, électrique, etc.) mais l’on pourrait aussi, pourquoi pas, concevoir des extensions à ces domaines qui nous emporteraient au-delà des propriétés physiques habituelles… en direction de forces inconnues… et pourquoi pas des forces imputables à Dieu – un être à qui l’on attribue l’existence même de l’univers ! Cependant, il est légitime de se demander pourquoi l’hypothèse d’une puissance infinie serait plus plausible que celle d’un agent situé à l’intérieur de notre univers physique qui, extraordinairement ingénieux, serait capable d’exploiter certaines propriétés inconnues à ce jour de la matière ? La régénération d’un membre dans l’eau du Gave à Lourdes demande une explication. Cette régénération peut en effet demeurer incompréhensible – surtout si le témoignage est fiable – mais pourquoi nous tourner vers une explication surnaturelle ? Le problème avec l’agent surnaturel est qu’il requiert d’avoir un pied dans l’univers physique et l’autre en dehors de l’espace et du temps[37] !  Certes, le « surnaturel » se définit comme ce qui n’appartient pas au monde naturel de l’espace et du temps. Toutefois pour qu’une intervention expliquant une modification dans le monde naturel nous soit intelligible, elle doit s’appuyer sur des points d’interactions avec la matière. Mais si l’on accorde cette ouverture à l’intelligible, alors ce qui constituait le miracle deviendra un fait susceptible d’entrer dans la compréhension du monde naturel. Ainsi, lorsque l’on se refuse à céder à la panique cognitive dans laquelle le théisme inévitablement emporte le naturalisme méthodologique, on se rassure lorsque la méthode est soutenue par une ontologie qui exclut le surnaturel. En conséquence, il se pourrait que l’attitude la plus sage soit alors simplement de classer les événements inexpliqués dans le dossier « en attente d’explication. »

Cette incursion sommaire et très partielle à l’intérieur du théisme et, dont on peut aisément imaginer qu’elle sera jugée bien prosaïque par un croyant, montre cependant comment la pensée surnaturelle rompt le bornage des catégories naturelles. En effet, l’intervention du surnaturel apparaît comme ce qui fait voler en éclat toute possibilité d’exercer une science que régit le naturalisme méthodologique qui, lui, ne reconnaît de rôle causal qu’à certains processus dénués de prodige. Et c’est ici que la panique cognitive saisit le naturaliste, lorsque son ontologie semble se brouiller par des liens de causalité entre des événements qui jusque-là étaient sans relation.

La relation causale – qui n’est en rien une relation logique qui, elle, met en rapport des choses dites ou dicibles, des propositions, des descriptions, etc. – relie, en effet, des relata extralinguistiques ou pour le dire autrement des concreta. Les abstracta, considérés comme incapables d’introduire des changements dans les choses, se caractérisent, quant à eux, par leur impuissance causale. Si la discussion au sujet de la nature des relata de la relation de causalité n’est pas close (événements, états de choses, objets, instances de propriétés…), il n’en demeure pas moins qu’aucun de ces items ne se définit en dehors de l’espace et du temps.

C’est ainsi que le naturalisme méthodologique s’appuie sur le principe de clôture causale du domaine physique. Ce qui signifie que pour tout effet physique, il existe une cause physique suffisante qui explique cet effet. Un tel principe, au-delà du guidage et du soutien à toute recherche scientifique, est portée par la conviction que la question « Qu’est-ce qui existe ? » trouve sa réponse à l’intérieur d’une ontologie naturelle. Il ne s’agit pas pour autant de rejeter toute possibilité d’une cause qui ne serait pas strictement identifiée par un concept de la science physique. Toutefois, si une cause non physique intervient dans le processus causal, elle sera a minima, corrélée ou entretiendra, un lien métaphysique de survenance avec la matière. Ainsi, alors que l’on peut avoir l’intuition que le pouvoir de l’esprit semble infiniment supérieur à celui de la matière – on peut, en effet, se demander comment la réalité ultime pourrait n’être que la matière aveugle, une chose non pensante ? – le pouvoir explicatif de l’esprit reste néanmoins obscur lorsqu’il est totalement délié du physique[38]. Ce qui apparaît donc lorsque l’on tente d’intégrer l’hypothèse du surnaturel dans l’activité de la science, d’y faire entrer ses entités, d’adopter la révélation dans l’épistémologie, voire de prendre en compte les expériences mystiques, c’est une sorte de trouble ontologique.

Le trouble ontologique

Ce trouble pourrait bien procéder d’une sorte de déplacement des propriétés attribuées à certaines entités appartenant à un domaine qui viendraient se cheviller à d’autres entités d’un autre domaine produisant une sorte de confusion. L’ontologie surnaturelle, selon les résultats en anthropologie cognitive appliquée à certains types de croyances[39], pourrait ainsi, bien être le résultat d’inférences déviantes par rapports aux catégories ontologiques ordinaires. Notre ontologie, dite « intuitive », en effet, postule un certain nombre de genres d’objets ainsi que des propriétés fondamentales auxquelles elles sont associées permettant ainsi de les différencier des autres genres. Cette ontologie ordinaire dénote des grandes catégories d’entités rangées sous les termes d’événements, d’objets physiques, d’êtres animés, d’objets abstraits, de personnes, de plantes, d’animaux, etc.[40]. L’ontologie surnaturelle, en modifiant certaines connexions, ne respecte pas ces distinctions et en déplaçant certaines propriétés d’un domaine vers un autre, s’engage à faire exister des êtres spirituels, des âmes, des dieux, des esprits dotés de propriétés comme vivre après la mort du corps, être immortel ou encore posséder des propriétés télépathiques.

Ce que nous montre les sciences cognitives, c’est que notre accès au monde est porté par une ontologie qui façonne nos croyances et notre connaissance et que cette ontologie intuitive est soutenue par des catégories qui génèrent certaines évidences comme le caractère inévitable de la mort et la décomposition ou l’impossibilité de l’action à distance, etc. Ainsi, selon cette ontologie ordinaire les phénomènes physiques sont matériels, substantiels et objectifs alors que les phénomènes mentaux tels que les pensées, les désirs, l’imagination et les représentations sont subjectifs et immatériels ; les êtres animés peuvent avoir des intentions et agir en fonction de buts alors que les êtres inanimés ne le peuvent pas ; les objets physiques ont une existence indépendante dans l’espace et ils peuvent déplacer d’autres objets par la force physique, alors que les états mentaux ne le peuvent pas, etc.

L’impossible dialogue entre la science et la religion

Ainsi, alors que le théisme reconnaît l’autorité de la science, celle-ci est soutenue par un naturalisme méthodologique étayé par un naturalisme ontologique. Ce naturalisme ontologique non seulement exclut tout pouvoir causal aux entités surnaturelles et affirme qu’il n’existe pas de catégorie rivale à la catégorie physique. Une telle affirmation ne signifie pas que nous n’ayons pas besoin de concepts non-physique pour décrire ce qui est. Afin de savoir qui nous sommes nous avons besoin de nous extraire du monde purement physique mais nous ne pouvons pas nous concevoir comme des entités indépendantes de l’espace. Si le naturalisme ontologique affirme que toute la réalité est physique cela ne revient pas à dire que toute la réalité peut être décrite par des concepts physiques. C’est ainsi qu’au sein de ce naturalisme ontologique, la métaphysique peut examiner les questions auxquelles le théisme répond et mettre ses réponses en compétition. Cette compétition implique la possibilité d’un dialogue entre le théisme et la métaphysique que la pratique de la philosophie de l’argument permet et favorise. Quant à la possibilité d’un dialogue entre la science et la religion, pour peu que l’on reconnaisse la validité des trois prémisses ci-dessous, c’est une toute autre histoire !

P1. Le dialogue entre le théisme et la science est basé sur le rejet du naturalisme ontologique.

P2. La science exige un naturalisme méthodologique.

P3. Le naturalisme méthodologique est soutenu pas un naturalisme ontologique.

Références

[1] Cf. « Science et philosophie », Diogène, 2009/4, par Paolo Parrini.

[2] L’impossible dialogue entre les sciences et les religions, Editions du Boréal, 2016. Dans cet ouvrage, le sociologue des sciences de l’université du Québec retrace l’histoire du divorce entre la religion et la science et relate les nombreux conflits qui ont jalonné son histoire. Il tente également d’expliquer le « retour » du dialogue entre les deux domaines éloignés par leurs objets mais aussi leurs méthodes. Il évoque notamment le lien qu’il estime direct avec la fondation Templeton, qui à travers ses financements contribue et encourage les chercheurs à inscrire leurs travaux dans une perspective de conciliation entre la science et la religion. On peut écouter et voir une conférence d’Yves Gingras qui, comme l’indique le titre de son ouvrage, développe l’idée de la demande de dialogue venu de la sphère religieuse.

[3] Voir la confrontation entre Daniel Dennett et Alvin Plantinga dans Science and Religion are they Compatible?, OUP, 2010.

[4] Justin Barrett, Cognitive Science, Religion, and Theology, Templeton Press, 2011, préface, page viii.

[5] Alvin Plantinga, Where the conflict really lies, science, religion & naturalism, OUP, 2011 ; Richard Swinburne, Y a-t-il un Dieu ?, traduction française par Paul Clavier, Ithaque, 2012.

[6] Au-delà du dialogue entre la science et la religion, une certaine orientation des sciences cognitives cherche à montrer que celles-ci peuvent venir potentiellement soutenir ou contester les revendications théologiques. Ibid. Justin Barrett, 2011.

[7] Stephen Jay Gould, Et Dieu dit « Que Darwin soit !’ », traduction française Jean-Baptiste Grasset, Seuil, 2000. Ouvrage dans lequel le paléoanthropologue expose son principe du non-empiètement des magistères.

[8] Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, Traduction française de Marie-France Desjeux-Lefort, Robert Laffont, 2008.

[9] Le naturalisme renvoie à de multiples doctrines, d’Aristote à Quine, en passant par Hobbes, Rousseau et beaucoup d’autres. Pour un développement détaillé des différents aspects du naturalisme voir, en particulier le premier chapitre du livre de Daniel Andler qui vient de paraître chez Gallimard (mai 2016) La Silhouette de l’humain. Quelle place pour le naturalisme dans le monde d’aujourd’hui ? Pour une clarification du concept de naturalisme ontologique et du rôle qu’il tient au sein des sciences, voir « Le rôle du naturalisme métaphysique en science », Matériaux philosophiques et scientifiques pour un matérialisme contemporain, Volume1, Editions matériologiques, 2013.

[10] Mind and Cosmos, Why the Materialist Neo-Darwinian Conception of Nature is Almost Certainly False, OUP, 2012.

[11] The Rediscovery of the Mind, Cambridge, Mass.: MIT Press, 1992, traduction française, Claudine Tiercelin, La redécouverte de l’esprit, 1995.

[12] Denis Fisette et Pierre Poirier dans Philosophie de l’esprit, état des lieux, Vrin, 2000 tentent de dresser le réseau des différents naturalismes, p. 102-104. Voir également, Pascal Engel, « Le rêve analytique et le réveil naturaliste », Le Débat, 1992, n°72, p. 104-114.

[13] « … Presque tout le monde aujourd’hui veut être naturaliste… » David Papineau dans Philosophical Naturalism, Oxford: Blackwell Publishers, 1993,

[14] Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle.

[15] Roger Pouivet, dans son ouvrage Epistémologie des croyances religieuses, éditions du Cerf, 2013, écrit dans la conclusion de sa démonstration montrant que la croyance chrétienne en l’existence de Dieu est une croyance dont la légitimité épistémologique est garantie : « L’existence de Dieu n’a pas été prouvée, des raisons décisives de croire en son existence n’ont pas non plus été avancées. Mais l’honneur épistémique des croyantes a été défendu. Le droit de croire ne peut pas être contesté à celui qui, même sans preuve, mais rationnellement toutefois, croit que Dieu existe, qu’il lui a révélé des vérités indiscutables. », p. 217.

[16] Op. Cit., Gingras, 2016.

[17] Voir l’article de Juliette Grange qui fit polémique et les réponses de Frédéric Nef et Pascal Engel ici-même.

[18] Where the conflict really lies, science, religion & naturalism, OUP, 2011.

[19]. Op. Cit., 2011.

[20] Voir la préface de C. Michon et R. Pouivet, à l’ouvrage, La philosophie de la religion, approches contemporaines, textes clés de philosophie de la religion, Vrin, 2010. On peut aussi voir les interventions de Sébastien Réhault et de Jean-Baptiste Guillon (septembre 2015) dans le cadre du cours de Claudine Tiercelin Métaphysique et philosophie de la connaissance http://www.college-de-france.fr/site/claudine-tiercelin/symposium-2015-09-16-15h00.htm

[21] Pour un réaliste théologique, les énoncés au sujet de Dieu font référence à un être transcendant ; ces énoncés sont descriptifs, et dès lors, vrais ou faux. L’athée et le théiste sont, l’un comme l’autre, des réalistes théologiques. Pour le premier, les énoncés qui font référence à Dieu sont faux, puisque Dieu n’existe pas. En revanche le théiste considère que certains énoncés sont vrais mais d’autres peuvent être faux. Pour un exposé qui différencie le réalisme et l’antiréalisme théologique, voir, Pouivet, op. cit., 2013, chapitre 3.

[22] Parmi les représentants de ce que l’on nomme « l’épistémologie réformée », qui se démarquent de la théologie naturelle pour mettre en avant le « droit de croire », on peut lire les travaux d’Alvin Plantinga, Peter Van Inwagen et en français, ceux de Roger Pouivet.

[23] Voir le livre Frédéric Guillaud, Dieu existe, Arguments philosophiques, Cerf, 2013 qui est un parfait exemple de ce retour de la théologie naturelle.

[24] Pour un argument qui tente de clarifier la relation d’inexistence de Dieu à partir de l’argument de sa superfluité voir « Dieu est-il une hypothèse nécessaire ? », traduction française de Sébastien Réhault, de Peter van Inwagen, Klesis, 17, 2010.

[25] Voir l’article de Richard Swinburne, « Pourquoi Hume et Kant ont eu tort de rejeter la théologie naturelle », traduction de Paul Clavier, Théorèmes, 2, 2012.

[26] Swinburne, Y a-t-il un Dieu ?, Ithaque, 2009.

[27] Swinburne, Ibid., p. 72.

[28] Ici, une conception de l’épistémologie a posteriori qui repose sur l’idée qu’une croyance est garantie lorsqu’elle résulte d’un processus fiable. Voir Roger Pouivet, Qu’est-ce que croire ?, Vrin, 2003. Cette conception s’oppose à une épistémologie a priori basée quant à elle sur des normes a priori. Voir Pascal Engel, Va savoir, De la connaissance en général, chapitre 1, Vrin, 2007.

[29] Plantinga, 2001, chapitre 9.

[30] Chez les athées, ce sens serait bloqué ou ne fonctionnerait pas correctement. Voir Plantinga, Warranted Christian Belief, p. 214.

[31] A. Plantinga, Knowledge and Christian Belief, Wm. B. Eerdmans Publishing Co, 2015, chapitre 3.

[32] Daniel Dennett, 1995, Darwin est-il dangereux ?, traduction française Pascal Engel, Odile Jacob, 2000.

[33] Le miracle est ici considéré comme un spécimen de relation entre le monde surnaturel et le monde naturel. Ajoutons que même si les miracles ne constituent pas des preuves de l’existence de Dieu, leur croyance est néanmoins centrale au concept de foi, au moins dans un cadre Chrétien : la résurrection du Christ étant le miracle originel. L’analyse faite ici au sujet des miracles est fortement influencée par celle que produit Bede Rundle dans Why there is something rather than Nothing, OUP, 2005.

[34] Op. cit., Swinburne, 2009, p. 110.

[35] Somme contre les gentils, Livre 3, 101.

[36] Section X, Enquête sur l’entendement humain, traduction Michel Malherbe, 2008, p. 281.

[37] Tous les théologiens chrétiens s’accordent pour soutenir l’idée que Dieu n’a ni commencement ni fin et une grande majorité a soutenu que Dieu est éternel. Autrement dit, qu’il existe hors du temps. Une petite minorité considère que Dieu est sempiternel, c’est-à-dire qu’il existe dans le temps. Pour une discussion sur ces points de vue, voir « Dieu est sempiternel » de Nicolas Wolterstorff, dans op. cit., Philosophie de la religion, Vrin, 2010.

[38] Il faut préciser que la notion de substance mentale se définit le plus souvent comme l’envers de la substance physique. C’est pourquoi lorsque l’on minimise le pouvoir causal du physique on le reporte sur le non-physique que l’on conçoit en termes plus substantiels que les abstracta, et on le dote alors d’un pouvoir causal basé sur notre conception familière des entités physiques.

[39] Voir le livre de Pascal Boyer, Et l’homme créa les dieux, Gallimard, 2003. Egalement Justin Barrett, op. cit., 2011. Sur la pertinence de sciences cognitives pour l’étude de la religion, on peut lire l’entretien d’Anne Coubray et Yann Schmitt, donné par Dan Sperber, dans la revue Théorèmes.

[40] Pascal Boyer, Religious Ontologies and the Bounds of Sense : a Cognitive Catalog of the Supernatural.

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14 Commentaires

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  1. Très intéressant. Je retiens en particulier ceci:
    « Ce qui est, en effet, au centre de la théorie de la connaissance de l’épistémologue chrétien et ce qui, à ses yeux, permet d’expliquer pourquoi la science est florissante c’est la foi, ce « cadeau de Dieu » qui est à la source des croyances fiables que nous formons[29]. C’est le sens divin (Sensus Divinitatis) dont Dieu a doté les hommes et qui les incite à croire en lui[30]. Une foi qui n’est pas le fruit d’une inférence à l’intérieur d’un argument, mais une foi innée qui ressemble aux facultés de la perception, à la mémoire, à la connaissance a priori[31], une foi, produite par Dieu et qui précisément permet cet ajustement entre l’ordre naturel et l’esprit »
    En somme, Dieu existe parce qu’il a doté les hommes du pouvoir de croire en Lui. N’y a-t-il pas là une réminiscence de l’argument de Saint Anselme? Mais on le sait, l’argument d’Anselme est faux logiquement, tout simplement parce que l’existence n’est pas un prédicat…
    La concorde apparaît en effet bien compromise. Plantinga apparaît comme un défenseur du dessein intelligent, position incompatible avec la théorie de l’évolution.

    1. Merci pour ce commentaire.

      Les « preuves » de l’existence de Dieu forment un sujet que je n’évoque pas dans ce billet. A priori (ontologique) ou a posteriori (cosmologique et téléologique), les arguments, comme vous l’écrivez, peinent à convaincre. Toutefois, pour certains philosophes la croyance en Dieu n’a pas besoin de preuves pour être légitime et constituer la base d’un certain modèle épistémologique. La croyance en Dieu est alors une croyance de base, elle n’a pas besoin d’être justifiée.

      Quant à la concorde, il est peut-être préférable d’appliquer ce que S. J. Gould préconise : « le principe de non-empiètement des magistères. » En effet, un des problèmes soulevé dans ce billet émerge de cette recherche d’une concorde (qui prend depuis les années 80 du siècle dernier une place de plus en plus importante) entre les deux domaines.

    • Debra sur 24 août 2016 à 9 h 32 min
    • Répondre

    Encore une fois, merci de mettre votre réflexion sur ce blog, et de me permettre d’appréhender votre pensée dense, bien que je n’aie pas les moyens de tout comprendre.
    Quelques remarques qui ne peuvent pas être à la hauteur de votre développement :

    Je ne peux que m’interroger sur… l’EXclu du triade science/religion/philosophie : il s’agit, pour remonter très loin, à la mythologie, incarnée dans l’acte poétique.
    Avec le temps je sens un antagonisme grandissant entre ce rapport au langage que seule ? la poésie permet à l’être humain, et qui a traditionnellement été intriqué à notre perception mystérieuse d’un.. au delà ? qui nous dépasse, et nous détermine par la même occasion, et le langage où s’expriment les scientifiques, et tous ceux qui se rallient sous la bannière de ce qu’on appelle « science » à l’heure actuelle.
    Ma lecture des « Metamorphoses » d’Ovid cet été me confronte à une tension fructueuse entre les dieux ayant FIGURE HUMAINE, donc, étant une affaire de figurabilité, et des forces impersonnelles tirant du côté de l’abstraction.
    Et j’ai appris cet été également que l’article défini est entré en français grâce à la langue grecque, ce même grec qui nous a donné Homère, où les dieux ont encore figure humaine, les tragiques grecques, où sévit l’oracle de Delphes pour Oedipe, et les philosophes grecs que vous connaissez bien mieux que moi.
    Ce tout petit article défini a des conséquences… surnaturelles ? pour l’évolution de notre pensée en Occident.
    Voyons… comment figurer la liberté ? Si je veux faire un tableau représentant la liberté, comment je fais.. concrètement ? Et la science ? Tiens, ce serait drôle, un tableau représentant « la science expliquant Dieu aux enfants »…
    Personnellement, j’aime beaucoup moins la peinture de la Révolution française que « les Métamorphoses », comme art, mais je m’arrêterai là sur la figurabilité.

    En vous lisant, je me suis dite pour la première fois.. « eureka, j’ai trouvé ».. (comme une vraie scientifique ?) Il y a un monde entre « Credo in unum Deum, pater omnipotentam…. » et « Dieu existe ». Mais… de même que « Dieu existe » est un credo… SANS SUJET HUMAIN, « Dieu n’existe pas » est AUSSI un credo sans sujet humain (c’est triste, les credo d’où le sujet humain est exclu, d’autant que, en apprenant le Latin, j’apprends que « credo » veut dire « je crois »…) Parce qu’en posant Dieu de cette manière, et même en l’EXcluant, et y attachant le négatif, le langage doit d’abord posé pour nier. (Freud, Hippolyte, Lacan dans l’article sur la négation et son commentaire.)

    Beaucoup de personnes trouveraient ce constat pinailleur, mais ces personnes ne comprennent pas ce que parler veut dire, et ce que nous faisons en parlant. En disant « Dieu Existe », la langue grecque exclut Dieu (et l’Homme), mais ne le fait pas disparaître. Beaucoup de personnes, me semble-t-il, ne comprennent pas à l’heure actuelle que l’exclusion ne fait pas disparaître, et ne tue pas…L’exclusion installe dans un autre lieu.

    Je vous suis dans votre conclusion qu’ A L’HEURE ACTUELLE, « la science » (mais c’est quoi, la science ? toujours ce fichu article défini grec qui brouille la carte, et nous empêche de.. figurer ? les scientifiques en chair et en os qui sont derrières ? « la science ») et la religion entretiennent une relation antagoniste, où… la foi dans l’une constitue une exclusion de la foi en l’autre. Pour moi, il s’agit de.. perturbations dans la manière d’incarner ce qui porte et constitue la différence, l’altérité, cette différence qui délimite dedans, et l’appartenance, en même temps qu’elle délimite l’étranger, et au delà… l’ennemi. Puisqu’il est nécessaire à l’Homme de donner figure à l’étranger, et à l’ennemi, pour pouvoir penser, il faut trouver des.. personnes ? adéquates, à la hauteur du rôle.

    Ce constat peut nous conduire à interroger ce que Freud appelait l’intrication, ou comment on lie les éléments ensemble, autrement dit, (vous avez parlé de concorde, ou de complémentarité) la conjugaison, la relation, le.. vivre ENSEMBLE… autour desquels nous tournons (le grand « nous »…) depuis que l’Homme est l’Homme. Est-il possible de croire des choses.. DIFFERENTES ? même antagonistes, EN MÊME TEMPS, dans des lieux différents de nous-mêmes que nous pressentons obscurément sans parvenir à les Expliquer (lisser, enlever les plis), ou les voir, AVONS-NOUS LE DROIT quand nous nous référons à des théories aussi… déterministes et positivistes qui veulent nous réduire à des êtres prévisibles pour réduire.. notre.. panique cognitive ?

    Vous avez raison, je crois, pour la panique cognitive, et je crois que même le croyant (en Dieu, ne parlons pas du croyant dans la science qui n’a pas le droit de reconnaître qu’il est croyant) n’est pas à l’abri de la panique cognitive qui consiste à reconnaître que chaque instant… est unique, que chaque être, même la moindre petite feuille l’est, et que chaque jour que je sors de chez moi peut être mon dernier. La panique cognitive consiste à reconnaître, au fond de soi, que je ne suis à l’abri de rien. Elle est très douloureuse dans des civilisations… aussi sécuritaires que la nôtre en ce moment, où tout est mis en oeuvre pour nous masquer cette… réalité ?.

    Vous savez, se trouver confronté à cette réalisation peut être… salvateur, dans la possibilité de transformation qu’il offre au sujet, balisé à mort comme nous le sommes à l’heure actuelle dans une société qui veut nous protéger de l’imprévisibilité, du négatif, de l’envers des choses, et va jusqu’à croire… que nous allons devenir immortels de notre propre gré, et de notre plein pouvoir, et que cela.. est une question technique…qui sera résolue par « la science ». (Bien sûr, la société, c’est nous, mais sous une forme que nous ne pouvons, et souvent ne voulons pas reconnaître.)

    Je reviens vers « Dieu n’existe pas ». Cette affirmation fonde une forme d’immanence qui me terrifie. Parce que.. si Dieu n’est pas posé à l’extérieur, ça veut dire que nous baignons dedans, vu qu’il ne suffit pas de VOULOIR LE TUER pour le faire disparaître. Dans la littéralité, et il est fondamental de pouvoir entendre la langue dans sa littéralité, de ne pas EXCLURE sa dimension littérale, « Dieu n’existe pas » veut dire « Dieu n’est pas posé à l’extérieur. » Vous entendez ?
    L’Occident a passé de longs siècles à parvenir douloureusement à mettre Dieu à l’extérieur, comme postulat, comme un sacré qui fonde, mais sur lequel on tire un rideau… de séparation, (la pensée scientifique a contribué vaillamment à tirer le rideau) et en affirmant que « Dieu n’existe pas », on le fait revenir au galop… Ironique, non ? Mais o combien logique…
    (Personnellement, j’aimerais pouvoir continuer à accéder à Dieu (à « Dieu » ?) dans et par la poésie, et l’Art, dans une communion mystique…)
    Nous n’échappons pas à la logique du langage… et nous ne la maîtrisons, et ne la maîtriserons jamais. Credo.
    Merci de m’avoir lu.

    1. Merci pour ce grand commentaire.
      Le propos général du billet cherche tout simplement à défendre le point de vue que le dialogue entre la religion et la science n’est sans doute pas possible – et que cela est une bonne chose !

        • Debra sur 14 septembre 2016 à 17 h 01 min
        • Répondre

        Je pense à ce que vous avez écrit, là, et au climat.. intellectuel ? spirituel ? du pays à l’heure actuelle. Je trouve qu’il est facile de parler avec les articles définis. Les choses se corsent quand on pose les questions autrement, et quand on passe au plan des personnes en chair et en os.
        Formulons la question autrement : est-il possible à l’heure actuelle en France pour une personne étant passée par les rangs de l’Université, étant.. instruite, éduquée, d’affirmer TRANQUILLEMENT qu’il ou elle est croyant chrétien (ou croyant juif ou musulman, pendant qu’on y est…) ? Je crois que non. Je crois que la lente montée du savoir en Occident s’est fait progressivement sur le dos de la foi religieuse, et qu’à l’heure actuelle dans l’évolution de cette tendance, le savoir est devenu une démystification qui se propose de se substituer à la foi religieuse dans le combat pour les coeurs et les âmes. Cela veut dire que les deux, science et foi religieuse, sont vécus par le corps social (j’y crois au corps social…) comme incompatibles, et s’excluant mutuellement. (D’ailleurs, l’origine historique de la science moderne en Occident la fait sortir de la cuisse de la théologie, en bonne hérésie…)
        De plus en plus de lettrés se revendiquant de leur foi dans la pensée « scientifique » renvoient la foi religieuse aux incultes, ce qui est un paradoxe incroyable pour une personne qui a quelques menues connaissances sur l’étymologie du mot « culture/culte », etc.
        Franchement, je ne sais pas où ce constat nous mène, mais il me rend très pessimiste, et mécontente. Et.. je CROIS que ce constat n’agrandit pas l’Université, pendant qu’on y est.

        1. L’article n’aborde pas la croyance en Dieu en tant que telle. La rationalité de la croyance religieuse n’est pas abordée ici. Il y a bien sûr des scientifiques, des philosophes universitaires qui sont croyants.

          Le point sur lequel insiste l’article est que faire de la science c’est faire usage d’une méthode : le naturalisme. La question qui est posée est, ici, celle de l’intervention de la croyance religieuse comme fondement épistémologique à la connaissance scientifique. « La foi dans la pensée scientifique » – j’use de vos termes – est une confiance dans la méthode naturaliste qui produit la connaissance scientifique, et elle se distingue de la foi religieuse qui, elle, est basée sur la révélation. La séparation des magistères, en vertu de ces deux sortes de « foi » est la position défendue dans ce billet. C’est une position philosophique qui ne dit rien sur la croyance en tant que telle. Cette position estime, à l’instar d’ailleurs de certains scientifiques chrétiens qu’il faut mieux mieux « laisser la science et la religion s’en aller par des chemins parallèles, vers leurs buts propres » (frère Marie-Victorin, cité par Yves Gingras, 2009, « Qu’est-ce qu’un « dialogue » entre science et religion ? »).

    • ENM sur 29 août 2016 à 12 h 38 min
    • Répondre

    Les domaines de la science et de la foi me semblent bien distincts, et je ne comprends pas la nécessité d’un dialogue entre les deux. Si la Science s’occupe du  » comment ?  » et la foi du  » pourquoi ? « , les domaines me semblent bien séparés et je ne vois pas quels sont les sujets prêtant à discussion.

    La naturalisme méthodologique me semble être, sur le plan scientifique, une précaution de bon aloi.

    Le naturalisme ontologique, en revanche, me semble être une thèse qui n’est plus de l’ordre de la science mais bien de la foi.  » …, le naturalisme devient une thèse qui soutient que les entités surnaturelles n’existent pas « . Cette thèse est-elle réfutable ? Il me semble que non et, donc, si je ne me trompe pas, elle n’est pas de l’ordre de la science.

    Cela dit, il semble qu’il existe un certain nombre de phénomènes inexplicables. Vous citez justement le problème des origines et celui du caractère irréductible de la conscience. Il me semble que, à ce jour tout du moins, ils ne sont pas explicables par la science. Il ne semble pas incohérent, en l’absence de toute explication scientifique respectant le naturalisme méthodologique, d’envisager une hypothèse faisant intervenir une entité extérieure à notre espace-temps (que je ne préfère pas appeler Dieu, dans la mesure où ce terme me semble appartenir au domaine de la foi). Cette hypothèse, celle d’une entité extérieure à notre espace-temps, reste malgré tout de l’ordre de la science dans la mesure où elle est réfutable, bien que sortant du domaine strict du naturalisme méthodologique.

    Autre point :  » le monde est entièrement composé de matière et celle-ci a toujours existé. « . D’abord comme je le dis plus haut, cette thèse ne me semble pas réfutable et relèverait alors du domaine de la foi. Mais, surtout, il se pose le problème de la matière. Il me semble que plus nous avançons, plus la composition de la matière nous apparaît comme très mystérieuse et un strict matérialisme s’appuie sur un concept fondamental sur lequel il semble que nous avons encore beaucoup de questions nos résolues…

    1. Merci pour ce commentaire.

      La distinction entre « Pourquoi »/« Comment » que vous posez comme divisant les questions relatives à la religion d’un côté et à la science de l’autre n’est sans doute pas aussi stricte qu’elle apparaît.
      C’est vrai que l’on répond aux questions « pourquoi » par « parce que » et nous donnons des raisons. « Pourquoi » peut sous-entendre une intention, une origine. « Comment » se réfère plutôt au mécanisme d’un fait. Néanmoins, la question par exemple « Pourquoi tout objet lâché tombe-t-il à terre ? » est une question à laquelle la science peut répondre. Mais il est vrai que certains « pourquoi » peuvent sembler nous échapper car ils sont sans fin. Le « comment » semble s’étendre à l’observable et le « pourquoi » peut aller au-delà de l’observable.

      La religion a des réponses à ces « pourquoi ». Une certaine division travail semble ici de mise.
      Cela fait penser à la phrase que Jean-Paul II aurait dite à Stephen Hawkings : « Nous sommes bien d’accord, monsieur l’astrophysicien. Ce qu’il y a après le big bang c’est pour vous, et ce qu’il y a avant, c’est pour nous. »

      C’est contre cette division, voire cette complémentarité du travail que le billet a été écrit.

      « Le naturalisme méthodologique est soutenu par une thèse métaphysique, à savoir le naturalisme ontologique ». C’est l’idée que je défends et qui, selon moi, rend impossible le dialogue entre la science et la religion. Une thèse métaphysique n’est, en effet, pas une théorie scientifique qui peut, comme vous l’indiquez être falsifiable. Une thèse métaphysique n’est pas non plus de l’ordre de la foi en Dieu, mais tente de répondre à un problème fondamental, ici en l’occurrence, ce qui est sous-jacent à toute science. Défendre une thèse métaphysique, c’est apporter des raisons d’adhérer à un argument. En cela cela ne relève pas de la foi mais de la raison.

      En ce qui concerne les questions laissées en suspens par la science actuelle. La conscience par exemple. On peut avoir une tendance au pessimisme et se dire qu’elle ne sera jamais expliquée par exemple. Mais c’est sans doute prématuré d’en arriver là. Certains philosophes ont parlé de « fossé explicatif ». Ce qui est sûr c’est que le discours sur les expériences de conscience ne peut pas être tiré du langage des neurosciences ou de la physique mais cela ne doit pas nécessairement nous conduire à dire que les expériences de conscience ne sont pas des occurrences neurologiques. Le saut hors du naturalisme explorant des thèses non-physicalistes ou non-réductionnistes se nourrissent de ce que la science n’a pas encore expliqué. Elles ont immédiatement la faveur des tenants de la concorde entre la science et la religion, comme la fondation Templeton qui finance lourdement par exemple, le projet « New Directions in the Study of the Mind » (dans la très sérieuse faculté de philosophie de l’université de Cambridge) qui s’ouvre à l’étude de l’esprit d’un point de vue alternatif au naturalisme méthodologique, par exemple en organisant un colloque résumé ainsi : (sic) «Suppose that immaterial things exist. Could they have causal powers? A spatial location? Could they think? In this conference we will investigate the condition of immateriality, and its relation to the self and cognition. »

      Les « nouvelles directions » au sujet de l’étude de l’esprit, sous l’égide de la concorde et de la complémentarité prônée par la fondation Templeton est un des exemples de ce « dialogue » pour le moins obscur.

      1. Merci de votre réponse. Je suis content de constater, au delà de l’ajustement nécessaire sur le sens de certains mots, que nous pouvons dialoguer malgré un désaccord métaphysique bien clarifié.

        Le dialogue entre la science et la religion est, me semble-t-il, différent de dialogue entre la science et la foi. Autant le dialogue entre science et foi me paraît vain comme je vous le disais précédemment, autant un dialogue entre science et religion me semble utile, ne serait-ce que pour bien préciser les domaines, examiner ce qui se passe aux limites et établir les problématiques de façon claire. Pour être précis, je définis la religion comme un ensemble de règles et de structures collectives bâties autour d’une foi commune. J’accepte donc le concept de religions bâties sur autre chose qu’une foi en Dieu.

        Quand j’écris que telle thèse relève de la foi, je ne veux pas dire de la foi en Dieu, mais simplement qu’il s’agit d’une croyance. Ce terme de croyance me semble assez négativement connoté, c’est pourquoi j’utilisais le terme de foi, qui me semble indiquer des arguments plus forts que ceux d’une simple croyance, tout en restant en dehors du domaine scientifique, et potentiellement d’un domaine religieux donné.

         » Cela ne relève pas de la foi mais de la raison « . Si on remplace foi qui semble vous gêner par croyance, une thèse métaphysique relève des deux domaines. En effet n’étant pas du domaine de la science, elle relève du domaine de la croyance, et, en même temps, je pense que la raison n’est pas exclue sous prétexte que cela relève de la croyance. Je peux, avec l’aide de ma raison, émettre une hypothèse non scientifique, relevant donc de la croyance. Si, demain, la science avance et me montre que mon hypothèse est fausse, je n’aurai aucun problème à l’accepter.

        Autant le concordisme que vous évoquez en parlant de la fondation Templeton me déplaît fortement, autant une stricte séparation des domaines me gêne également. Ma position est d’essayer, pour moi-même et rien de plus, d’essayer de comprendre en quoi ma foi et ce que je sais par la science peuvent s’opposer. Il est bien évident que bien des choses me restent mystérieuses, aussi bien dans le domaine de la science que dans celui de la foi, mais, à ce jour, je n’ai pas trouvé de contradiction insurmontable et j’en suis très heureux.

        1. Disons qu’une croyance peut être vraie ou fausse et que l’on peut exiger d’elle dans le premier cas qu’elle soit justifiée. Alors elle se transforme en connaissance. (Certains épistémologues pensent que certaines croyances, comme celle de croire en Dieu, n’ont pas besoin de justification).

          La notion de « croyance » ne pose pas problème et ne se réfère pas exclusivement au domaine religieux. On peut dire que la science produit des croyances vraies justifiées, par exemple que la terre est ronde. La croyance est vraie et justifiée par l’observation. La justification est assez puissante pour que l’énoncé « la terre est ronde » soit devenue une connaissance.

          Je suis d’accord avec vous pour dire que croire en Dieu (avoir la foi) n’est pas le fait d’une personne qui déraisonne. Le tempérament religieux est une manière de voir le monde qui naît du « désir de dire quelque chose de la signification ultime de la vie » pour reprendre les termes de Wittgenstein quand il parle de l’éthique. La science ne peut contenir ce questionnement. On ne peut pas dire, en ce sens, que la foi s’oppose à la science. Elle ne partage tout simplement pas le même espace.

  2. L’intérêt des questions portant sur les fondements méthodologiques et métaphysiques de l’approche scientifique, bien réel, ne peut dissimuler bien longtemps le caractère pour le moins surréaliste dans lequel une partie des débats contemporains se trouve jetée par les tenants d’une nouvelle doxa analytique généralisée (par « analytique », j’entends bien évidemment ce que l’on a coutume d’appeler philosophie analytique d’inspiration anglo-saxonne). « L’aveu » par François LOTH de la résurgence de problématiques d’ordre religieux dans la conception ultime du monde et dans les rapports à la connaissance, comme mue et sous la poussée d’une tradition analytique religieuse (peut-on la qualifier de telle ? – s’agit-il plus particulièrement d’une tradition particulière de la philosophie de l’esprit d’où seraient « exclus » les wittgensteiniens ?), ne peut qu’interroger le philosophe pour qui le positivisme logique avait au moins eu le mérite (avec et après d’autres, de tradition pourtant bien éloignées, du matérialisme historique à la phénoménologie husserlienne des Recherches Logiques comme de son tournant transcendantale, ou à la tradition française existentialiste par exemple) d’expurger du débat des idées les questions « stériles » de théologie philosophique.
    Il est toujours surprenant et amusant de voir cohabiter des motifs et mobiles intellectuels justifiant des approches philosophiques se réclamant de la rigueur et des méthodes scientifiques (il suffit pour s’en convaincre d’observer comment la philosophie générale se soumet à son nouveau maître en la personne des Sciences Cognitives et de ses paradigmes) avec ceux qui justifient l’intérêt et la pertinence des objets classiques de la théologie philosophique faussement remaniés. L’aspect paradoxal du rapprochement se comprend plus aisément lorsque l’on considère la position d’effacement et d’automutilation du champ philosophique en tant que ce dernier admet la nécessité du naturalisme ontologique comme métaphysique induite par le naturalisme méthodologique de la science. Si l’on peut admettre qu’une certaine dose de naturalisme est la condition nécessaire de la réalisation des sciences positives, la question demeure non tranchée du caractère de nécessité du dogme naturaliste du côté de la question de ce qui existe par exemple. Des formes de réalisme non purement physicalistes (certaines relevant d’ailleurs cependant du matérialisme au sens classique) peuvent, par exemple, être sérieusement défendues.

  3. Selon moi, la question du rapprochement, souhaitable ou pas, de l’approche scientifique et du mode d’appréhension théologico-religieux du monde ne se pose avec pertinence que dans la mesure où les autres formes de discursivité et de conceptualisation produites dans l’histoire ne sont pas suffisamment convoquées, légitimées, et travaillées. C’est même à la lumière de leur plus ou moins grande présence ou effacement, que l’articulation science-théologie acquiert son sens comme binôme spécifique. J’entends bien entendu par-là, l’Histoire ou la sociologie, en tant que pensées discursives produisant des ontologies, et distinctes de la visée purement explicative de la science « dure », mais de manière encore plus centrale, la philosophie, en tant que discipline autonome (partageant cependant avec la science le fait de ne pas se donner son objet a priori).

  4. En ce sens, je rejoindrais la position de François LOTH dans le fait qu’il est pertinent de séparer recherche scientifique et préoccupation théologique, dans la stricte mesure où la question ontologique, pour ainsi dire dégagée de ses présupposés théologiques (comme la question de la donation de l’être ou celle de ses propriétés réelles, concrètes ou abstraites), balise le champ d’une philosophie réaliste non réductionniste, sans rouvrir celui, à mes yeux plus douteux, d’une métaphysique « classique » à jamais empruntée d’un idéalisme accroché à ses concepts comme le sparadrap au Capitaine Haddock dans l’Affaire Tournesol !

    • Aristote sur 23 janvier 2018 à 20 h 44 min
    • Répondre

    Le miracle n’est pas d’abord un évènement inexplicable. La plupart des évènements inexplicables ne sont de fait que des évènements inexpliqués.

    Pour qu’un évènement inexplicable puisse être considéré comme un miracle, il faut qu’il puisse être attribué à une initiative divine du fait de ses circonstances et non simplement du fait qu’il est aujourd’hui inexplicable. C’est le cas, dans le cadre de la foi chrétienne, des miracles dont les récits évangéliques disent qu’ils ont été accomplis par le Christ (les exégètes se disputent pour en établir la liste exacte). Pour info, les seuls miracles auxquels les catholiques sont tenus de croire sont ceux-là.

    Mais inférer le miracle de la simple absence d’explication n’entre pas dans la foi chrétienne.

    Par ailleurs un miracle a toujours une finalité positive, d’enseignement ou de guérison. Un évènement inexplicable dont on ne pourrait pas attribuer raisonnablement l’initiative à Dieu et qui n’aurait pas de finalité positive ne peut donc pas être un miracle.

    Le scientifique peut être tranquille. Le Dieu des chrétiens ne s’amuse pas à jouer de façon arbitraire avec les « lois de la nature » et jamais il ne perturbera une expérience scientifique. L’athéisme méthodologique est parfaitement compatible avec la foi chrétienne et le recours au miracle n’est pas une stratégie d’explication.

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