Universalia in rebus : le réalisme de David Armstrong

Première publication, février 2008 (révisée août 2015)

David Armstrong est réaliste au sujet des universaux. Cependant, sa théorie n’est pas, comme il la qualifie lui-même une théorie « extrême »[1] et se distingue ainsi du réalisme transcendant de Platon, pour qui les universaux sont aussi réels, mais séparés des particuliers. On applique le terme de « transcendant » à ce réalisme car ces universaux n’existent pas dans l’espace et le temps. Ils sont transcendants, c’est-à-dire, séparés des choses (universalia ante res).

Ainsi, pour Armstrong, la détermination qu’un certain universel existe n’est jamais une question a priori. Seule la science peut dire quelque chose au sujet de l’existence des universaux. Autrement dit, Armstrong rejette radicalement l’idée que l’on pourrait identifier les universaux avec les significations de termes généraux et rejette ainsi l’inférence de la signification d’un terme général à l’existence d’un universel correspondant. La césure entre les prédicats et les universaux est ici intégralement consommée.

La position d’Armstrong porte le nom de « réalisme immanent » ou encore de « réalisme scientifique a posteriori ». « Immanent », pour signifier que les universaux existent seulement dans leurs instances. Quant à « réalisme scientifique a posteriori », l’expression signifie que les universaux sont instanciés de façon contingente et que donc, c’est à la science plutôt qu’au moyen d’un raisonnement a priori, de nous dire quels sont les universaux qui existent.

Ainsi, Armstrong considère que les propriétés sont des manières dont sont les choses. Dans cette façon de définir les propriétés, on reconnaît l’existence d’un lien très intime entre les choses et les propriétés. Ce lien est justement ce qui permet à Armstrong d’évacuer les universaux non instanciés. En effet, une manière d’être d’une chose peut difficilement exister sans la chose. Autrement dit, les manières d’être ne peuvent pas flotter librement au-dessus des choses. Ainsi, en « attachant » les universaux aux choses, le partisan des universaux comme manière d’être, ramène les universaux « sur terre »[2]. C’est, ainsi, que l’idée aristotélicienne des « universaux dans les choses » (Universalia in rebus)[3] se pose en alternative à ce réalisme extrême. Cependant, bien que l’on puisse reconnaître que ce réalisme évacue la question des universaux non instanciés, il impose, néanmoins, un point de vue qu’Armstrong, lui-même, qualifie d’ « étrange »[4], à savoir la localisation en plusieurs endroits du même universel. En effet, maintenant que la propriété universelle est une manière d’être du particulier, deux particuliers pourront aussi partager le même universel, c’est-à-dire être entièrement et en même temps dans deux endroits différents.

F. Nef note l’étrangeté d’une telle construction métaphysique[5]. A. Oliver, quant à lui, se demande « si les universaux aristotéliciens sont vraiment préférables aux universaux platoniciens »[6]. Une entité dans deux endroits en même temps apparaît, en effet, d’emblée contradictoire. C’est, en effet, une bien mystérieuse propriété que celle d’être entièrement présente dans plus d’un endroit en même temps. Pour Oliver « La réponse standard à cette intuition de mystère est faite sur mesure pour les particuliers ordinaires telles que les tables et les chaises, mais les universaux n’ont jamais été censé être comme ces sortes d’entités. »[7] Revenir à des universaux non localisés dans l’espace et le temps et exemplifiés dans des particuliers pourrait alors apparaître au regard des universaux aristotélicien finalement comme une solution plus cohérente.

Certes, le réalisme immanent satisfait notre intuition que les propriétés sont là où se trouvent leurs instances. Cependant, comment comprendre l’expression « entièrement présent dans un endroit particulier », si ce n’est comme « ici et dans aucune autre place » ?

Références

[1] 1997, A world of State of Affairs, Cambridge, Cambridge University Press, p. 22.

[2] 1989, Universals: An Opinionated Introduction, Boulder, Colo.: Westview Press, traduction française chapitre 5, G. Kervoas, dans Métaphysique contemporaine: propriétés, mondes possibles, personnes, textes réunis par E. Garcia et F. Nef., 2007, p. 169.

[3] 2001, « Universals as Attributes », in M. Loux, Metaphysics: Contemporary Readings, Routledge: New York, p. 66.

[4] Op. cit., 1989, p. 169.

[5] 2003, « Platonisme et tropisme : à propos d’une histoire des propriétés individuelles ou pourquoi Aristote à tort et Platon raison », dans S. Chauvrier (éd.), Actes du Colloque Le Réalisme des Universaux, Caen 28 février-2 mars 2001, Presses Universitaires de Caen.

[6] 1996, « The Metaphysics of Properties », Mind 105, p. 27.

[7] Ibid., p. 13.

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