La voie de la propriété particulière et de la similarité simple

Première publication, mars 2008 (révisée août 2015)

Les propriétés, de façon standard, sont conçues pour exercer un double rôle : (i) conférer des pouvoirs causaux aux choses et (ii) fonder des ressemblances objectives entre les choses. Ce second rôle, consistant à rendre compte de l’universalité, impose d’accepter la notion étrange de la localisation multiple des universaux. Une solution qui consisterait à abandonner la notion d’universel entièrement présent dans leurs exemplifications nous imposerait de concevoir les propriétés comme des manières d’être, mais particulières. Ces manières d’être particularisées sont les instances des propriétés universelles. Le coût métaphysique de l’opération consistera alors à renoncer à la stricte ressemblance entre les particuliers. Usant ainsi de la ressemblance comme notion primitive, la manière d’être particularisée dira que différents particuliers « partagent » certaines propriétés, en vertu de leur ressemblance. L’identité n’étant plus applicable, lorsque nous ne parviendrons pas à les distinguer, nous dirons qu’il existe une « exacte ressemblance » entre deux aspects. Ainsi, la blancheur de cette feuille blanche, que je ne parviens pas à distinguer de la blancheur de ce mur blanc, exhibe une ressemblance exacte avec la blancheur de ce mur blanc, mais en est absolument distinct. Dans ce cas, la ressemblance n’apparaît plus comme constitutive de la notion de propriété, comme le conçoit le nominalisme de la ressemblance, mais la propriété ou manière d’être particularisée se constitue indépendamment de la ressemblance. On peut ainsi traiter les propriétés comme objectives sans adopter la conséquence éliminativiste du nominalisme.

Ainsi, lorsque l’on admet, avec Armstrong, que les propriétés sont des manières dont sont les objets, nous ne sommes pas contraints d’interpréter deux propriétés similaires comme parfaitement identiques l’une à l’autre. On peut, cependant, continuer de considérer qu’une propriété est entièrement présente dans son instance et que deux propriétés sont similaires sans pour autant être strictement identiques. En distinguant chaque propriété, c’est-à-dire en refusant, par exemple, que dans chaque pomme existe un élément commun telle que la sphéricité, nous optons alors pour une notion de similarité que l’on peut qualifier de « simple ». Pour Armstrong, la similarité possède une base : l’identité. En adoptant la similarité simple nous posons celle-ci comme primitive. Deux choses sont similaires non parce qu’elles possèdent quelque chose d’identique en elle, ou parce qu’un observateur de ces deux choses les unirait conceptuellement, mais parce qu’elles sont platement similaires. La similarité est alors posée comme un fait brut, elle est basique et non réductible à l’identité. Autrement dit, ce que nous observons parmi les choses de la nature sont des ressemblances plutôt que des identités. Ainsi, admettre qu’il s’agit d’un simple fait que deux particuliers sont similaires ne nécessite pas d’explication supplémentaire.

Dérivant alors les propriétés particulières auxquelles on ajoute une relation primitive de ressemblance on peut construire la notion de propriété générale. Autrement dit, nous distinguons deux faits au sujet des choses : (i) la possession de certaines propriétés particulières et (ii) l’identité entre deux propriétés ou la possession de la même propriété par deux choses différentes. Cependant, si l’on admet que la ressemblance entre les propriétés particulières ne peut pas être analysée par la possession d’une entité commune, nous pouvons néanmoins la caractériser comme symétrique (si a ressemble à b à un degré D, alors b ressemble à a à un degré D) transitive (si a ressemble exactement à b et b exactement à c, alors a ressemble exactement à c) et substituable (si a ressemble à b à un degré D, et b ressemble exactement à c, alors a ressemble à c à un degré D). La ressemblance simple s’exprime, en effet, par degrés. Deux propriétés particulières peuvent plus ou moins se ressembler. Deux objets sont similaires en vertu de leurs propriétés distinctes, mais qui se ressemblent. Autrement dit, dans l’approche des propriétés comme manières particulières dont les objets sont, la ressemblance entre propriétés est un fait brut. Si a et b se ressemblent, il n’existe pas d’autre fait à leur sujet, en vertu desquels ils se ressemblent. Ainsi, lorsque l’on perçoit des particuliers qui se ressemblent, cela n’implique nullement que l’on perçoive leur ressemblance, c’est-à-dire la relation de ressemblance elle-même[1]. Cependant, la rougeur de ce cahier, de cette pomme, de cette chemise peut néanmoins se définir comme une propriété générale, c’est-à-dire en termes de classe de propriétés particulières se ressemblant. En effet, dans la mesure où l’approche universaliste des propriétés a placé devant nous un obstacle d’incompréhension – l’universel platonicien ou sa variante immanente – le recours aux classes de propriétés particulières se ressemblant offre une alternative à la solution qu’apporte la thèse des universaux.

Références

[1] 2006, Les propriétés des choses : expérience et logique, Paris, Vrin, p. 195. Précisons que les objets se ressemblent en vertu de leurs propriétés, alors que les propriétés sont similaires tout court. En effet, ce sont les propriétés particulières des objets qui se ressemblent, autrement dit a et b se ressemblent en vertu de la ressemblance de leurs propriétés particulières.

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