L’intentionnalité comme marque du mental

Première publication, avril 2007 (révisée août 2015)

Un critère distinguant l’homme comprenant le chinois de celui qui serait enfermé dans sa chambre serait constitué en ce que le premier posséderait une intentionnalité originelle, alors que celle du second ne serait que dérivée. Les inscriptions faites par Searle dans sa chambre close effectivement dérivent de la signification des symboles chinois. Autrement dit, la signification des réponses apportée par Searle ne serait pas intrinsèque, mais seulement dérivée, c’est-à-dire, relative à une autre intentionnalité. Ainsi, une machine se comportant comme un parfait locuteur chinois ne posséderait pas vraiment « l’intentionnalité ».

Brentano

Posséder l’intentionnalité serait donc la marque du « vrai » mental. Cette caractéristique consistant à être au sujet de quelque chose ou d’un contenu, pouvant exister ou non (je peux avoir des pensées au sujet du monstre du Loch Ness) est pour le philosophe Franz Brentano, ce qui différencie les phénomènes mentaux des phénomènes physiques. Il définit l’intentionnalité de la façon suivante :

Tout phénomène psychique contient en lui-même quelque chose comme objet bien que chacun le contienne à sa façon. Dans la représentation c’est quelque chose qui est représenté, dans le jugement quelque chose qui est admis ou rejeté, dans l’amour quelque chose qui est aimé, dans la haine quelque chose qui est haï, dans le désir quelque chose qui est désiré, et ainsi de suite.[1]

L’intentionnalité concerne, donc, ce qui pour une pensée, une croyance, une intention, renvoie à un objet ou est « au sujet », d’un certain contenu. Ainsi, l’intentionnel enveloppe une grande classe d’états mentaux, comme les croyances, les espoirs, les craintes, etc., qui ont tous des contenus ou des significations exprimées par des phrases. C’est donc en vertu d’avoir ce contenu intentionnel que nos états mentaux représentent des choses à l’extérieur de nous. Ainsi, les êtres humains, mais sans doute aussi, un grand nombre d’organismes possèdent cette capacité de représenter leurs environnements. Ma perception qu’il y a des automobiles sur la route représente le fait qu’il y a des automobiles sur la route. Cette capacité de nos états mentaux à nous représenter des choses externes, c’est-à-dire, d’avoir un contenu représentationnel est une caractéristique importante de ces états.

On peut, cependant, se demander si l’intentionnel est vraiment une marque du mental ? Si la possession de cette caractéristique est le fait de tous les états mentaux ? Il semble, en effet, que certains phénomènes mentaux ne soient pas intentionnels, comme la sensation de douleur, par exemple, qui ne se réfère pas à quelque chose ou qui n’a pas de contenu comme une croyance peut avoir un contenu. Que signifie, en effet, la douleur dans ma dent ? Que le nerf est à vif ? Ce qu’implique la signification ici est plutôt une indication causale. Toujours est-il qu’un genre d’état mental comme la douleur, n’a pas besoin d’un contenu pour être caractérisé comme tel.

On peut aussi observer, qu’il n’y a pas que les états mentaux qui sont « au sujet » de quelque chose. Les mots ou les phrases peuvent se référer à des choses et avoir un contenu ou une signification. L’expression « le chien de mon voisin » se réfère à ou représente un chien particulier. Une photo de ma famille représente des personnes particulières. Si ces objets physiques, cette suite de signes qu’est le mot ou ce carré de papier qu’est la photo, sont capables de se référer à quelque chose et possèdent un certain contenu, comment l’intentionnalité pourrait-elle être une propriété exclusive du mental ?

C’est ici que l’on distingue l’intentionnalité originelle ou intrinsèque que possèdent les états mentaux et l’intentionnalité dérivée que nous attribuons aux objets ou à certains états qui ne possèdent qu’un genre d’intentionnalité « comme si ». Le « chien de mon voisin » représente ce chien particulier, seulement parce que des locuteurs du français utilisent cette phrase pour représenter quelque chose. Les locuteurs possèdent l’intentionnalité intrinsèque, alors que l’intentionnalité du mot est dérivée.

On pourrait alors dire que l’on use d’une certaine métaphore en attribuant de l’intentionnalité à des systèmes physiques dont on dit qu’ils se réfèrent à des choses. On pourrait aussi arguer que les organismes à qui l’on « décerne » le titre de propriétaire de son intentionnalité, ne sont aussi que des systèmes physiques, complexes certes, mais physiques. Notre cerveau, en tant que système biologique est capable de se référer à des états de choses externes à eux. Que signifie finalement l’attribution de l’intentionnalité à un organisme ? Pourquoi sommes-nous enclin à attribuer cette caractéristique à des organismes complexes ?

Références

[1] (1924-1928), Psychologie vom Empirischem Standpunkt, 3 vol., Leipzig, Felix Meiner Verlag, trad. Française de M. de Gandillac, Psychologie du point de vue empirique, Paris, Aubier-Montaigne, 1944, p. 102.

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