Le rôle causal de nos croyances

Première publication, mai 2008 (révisée août 2015)

Une expérience de pensée introduite par Donald Davidon[1] met en scène Davidson lui-même qui, partant en randonnée dans des marais est soudain frappé par la foudre. Dans le même temps, à proximité, un second éclair réorganise spontanément toutes les molécules qui constituaient Davidson et par le plus grand des hasards, elles reprennent exactement la même position que celle qu’elles avaient au moment de sa mort.

Ce Swamp man possède néanmoins un cerveau, entièrement identique à celui qu’avait Davidson et se comporte donc exactement comme l’aurait fait Davidson. Alors, suivant à nouveau son chemin, retournant à son bureau à l’université de Berkeley, il reprend le cours normal de sa vie qu’il consacre à écrire des essais philosophiques…

Cette expérience de pensée de la duplication d’une personne à l’identique, nous intéresse ici pour distinguer les notions de pouvoir causal et de fonction (que l’on assimile ici à une croyance). La notion de fonction se différencie de l’ensemble des propriétés intrinsèques de l’organisme qui a acquis cette fonction. Je peux, par exemple, faire acquérir à un objet une fonction pour laquelle il n’a pas été produit, un livre, par exemple, pour caler une porte. En bloquant la porte, le livre acquiert la fonction de caler la porte. Cependant, il apparaît que tout autre objet ayant la même masse et la même dimension pourrait être aussi, la cause déclenchant l’arrêt de la porte à cet endroit. Ce qui arrête la porte à t est la propriété intrinsèque d’un objet, mais ce qui structure cette cause, est un événement qui s’est produit à t – 1, lorsque le livre a acquis cette fonction.

Dans la théorie de Dretske, la cause interne d’une sortie motrice est celle d’un état possédant une propriété physique déclenchante. Un agent et sa réplique, exposés à la même indication, exécuteraient donc la même sortie motrice. Dans l’expérience de pensée de Davidson, le double se différencie de la personne originale, seulement par son histoire. En effet, le double de Davidson devant une machine distributrice de boissons, par exemple, se comportera de la même façon que lui. En effet, l’état interne de ce double entièrement identique à Davidson, à la molécule près, réagira aux mêmes stimuli. Ainsi, parce que son état interne est identique au sien et que cet état interne indique la présence de cette machine, toute une série de gestes, consistant à faire fonctionner la machine pour obtenir une boisson, sera effectuée de façon identique à celle que ferait Davidson.

Selon la théorie de Dretske, l’état du cerveau de Davidson, devant la machine distributrice de boisson peut légitimement être appelé une croyance. Il a, en effet, appris dans le passé, qu’une telle machine sert des boissons contre paiement. Sa croyance, que la machine devant lui sert des boissons et son désir de se désaltérer, causent son comportement, qui consiste dans un premier temps à fouiller dans sa poche en quête d’une pièce de 1 euro. L’état du cerveau de Davidson, constitué d’une croyance, est néanmoins le même que celui du swamp man. Cependant, son double ne peut pas posséder la même croyance. D’ailleurs, il ne possède aucune croyance. La relation passée de Davidson avec ce genre de machine distributrice lui est propre et constitue sa croyance, son double ne la possède pas.

Le problème est alors le suivant : la croyance de Davidson que la machine distribuera une boisson contre paiement n’est pas une croyance dans le cerveau de son double. Ici, le contenu de la croyance effectivement ne joue pas de rôle au moment t de l’introduction de la pièce de 1 euro dans la machine, mais il a joué un rôle dans l’histoire de Davidson. Son double, quant à lui, parce qu’il est dans le même état interne que Davidson, agit néanmoins de la même façon que lui. Doit-on en conclure que posséder ou non une croyance ne serait d’aucune pertinence causale ? Ou, dans une version moins éliminativiste, que la croyance n’agit pas causalement au moment où se passe l’événement qui cause un effet ?

Références

[1] 1987, « Knowing One’s Own Mind. » Proceedings and Addresses of the American Philosophical Association, 60 p. 441-58.

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