Le punch causal des propriétés sémantiques : le problème de la soprano

Première publication, avril 2008 (révisée août 2015)

Dretske

Fred Dretske évoque le cas d’une soprano, qui en émettant un son fait vibrer un verre en cristal au point de le briser[1]. En plus d’une fréquence et d’une amplitude qui peut faire l’objet de mesures physiques, le son émit par la soprano possède une signification dotée, elle, de propriétés sémantiques. Quant à briser un verre, le chanteur pour cela doit émettre une note suffisamment puissante et correspondant à la fréquence naturelle de vibration du verre. Autrement dit, il doit émettre la même note que celle qui serait émise si on frappait le verre. Dans cet exemple, la voix de la chanteuse possède donc deux caractéristiques causales qui vont entraîner le bris : une certaine amplitude, mesurable en décibels et une certaine fréquence, mesurable en hertz.

Que le son possède des caractéristiques sémantiques est complètement superflu quant à la cause de l’événement entraînant le bris du verre. La signification du symbole linguistique émis par le soprano aurait pu, en effet, s’avérer être complètement différente, ou même ne rien signifier de particulier, que le verre en cristal se serait quand même brisé. Ce qui explique le bris du verre est une corrélation de lois entre les propriétés acoustiques du son émis et certaines propriétés structurelles du cristal. De telles propriétés sont intrinsèques ou survenantes à certaines propriétés sous-jacentes intrinsèques du verre de cristal et de l’organisme de la soprano. Les propriétés de la signification du symbole linguistique (propriétés sémantiques), quant à elles, ne sont ni intrinsèques ni survenantes. Cela n’implique pas que les sons et leurs propriétés extrinsèques n’ont pas de signification, mais cela implique que posséder une signification ne sera d’aucune aide dans l’explication de leurs effets sur le cristal.

Comment penser, après cet exemple de la soprano que l’on puisse mettre au travail les propriétés sémantiques de nos états intentionnels causant nos comportements ? Peut-on comparer ces dernières à la signification de la note émise par la soprano ? Autrement dit, doit-on conclure que la signification est aussi superflue pour expliquer causalement les comportements, que dans la cause du cristal brisé ? Pour Drestke les significations sont des causes, mais de telles causes n’ont aucun sens pour une science de l’acoustique.

Pour expliquer les comportements, les significations apparaissent pourtant bien comme des causes. C’est parce que je crois que p que cela produit B, comportement constitué par exemple de diverses contractions de muscles et stimulations de glandes dans mon organisme vivant. Cependant, les raisons qui nous font agir, les croyances qui causent nos comportements, paraissent n’avoir aucune place dans l’explication d’événements physiques. On peut certes user des raisons pour rationaliser nos comportements et ainsi nous aider à expliquer pourquoi nous devrions faire plutôt ceci plutôt que cela, mais insiste Dretske, « les raisons n’expliqueront jamais pourquoi nous faisons réellement ce qui est dans notre intérêt de faire. »[2] C’est pourquoi poursuit-il, que les biologistes ne mentionnent jamais les croyances et les désirs dans leur tentative d’explication des comportements des êtres vivants. Le caractère sémantique de nos états internes n’est pour eux d’aucune aide. En effet, si comme Davidson le soutient[3], les raisons ou ce qui justifie le comportement sont aussi des causes, et si les causes sont à rechercher dans les états internes physiques des sujets alors, une fois encore, la signification ou le contenu ne peut être causalement pertinent.

Comment alors penser que les propriétés sémantiques de nos états intentionnels possèdent néanmoins quelque punch causal ?

Références

[1] 1988, Explaining Behavior, Cambridge, Mass: MIT Press, chapitre 4.

[2] 1989, « Reasons and Causes », Philosophical Perspectives, 3, p. 12.

[3] 1963, « Actions, Reasons and Causes », Journal of Philosophy 60, p. 685-699, trad. française P. Engel, Actions et événements, Paris, P.U.F., 1993.

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