La thèse du physicalisme non réductible

Première publication, septembre 2009 (révisée août 2015)

A propos de l’esprit, l’intuition dualiste (que le mental aurait une existence propre dont le cerveau pourrait être le support nécessaire mais non suffisant) pourrait bien être partagée par une grande majorité de personnes. En effet, quoi de plus différent qu’un sentiment de tristesse et une zone du cerveau, que la sensation perceptive du rouge de la framboise et la machinerie neuronale, que la croyance que Londres est la capitale du Royaume Uni et la libération de neurotransmetteurs ? Parmi cette majorité de personnes, certaines très savantes comme le neurobiologiste J.C. Eccles soutiennent l’existence d’une réalité non matérielle susceptible d’agir et d’interagir avec le support organique. Si l’idée d’une substance immatérielle agissante et interagissante avec une substance matérielle est difficilement intelligible, il n’en demeure pas moins que l’existence d’un esprit dans un état désincarné semble être une possibilité que l’on peut concevoir. Un théoricien, défenseur de la thèse de l’identité esprit-cerveau, soutiendra que cette possibilité est, d’un point de vue empirique, proprement invraisemblable. Cependant, à moins d’affirmer que la notion d’esprit dans un état désincarné ou non physique serait dénuée de sens, une théorie de l’esprit doit alors rendre compte de cette possibilité. Mais comment faire quand, en même temps, on entonne l’antienne physicaliste ?

Tous les systèmes dans la nature sont des systèmes physiques. Ils ont tous des propriétés comme la position, la vitesse, la masse, la charge, etc. Par conséquent tous les systèmes dans la nature sont soumis aux lois physiques qui concernent ces propriétés.

Esfeld M. Philosophie des Sciences[1], 2006, p. 212.

Vouloir, pour un système dans la nature, faire une place à l’esprit tout en adhérant au physicalisme exigera alors qu’un lien soit tissé entre des propriétés qualifiées de mentales et des propriétés physiques. En effet, l’adhésion au physicalisme exige que tous les faits, incluant les faits mentaux, soient fixés par des faits physiques. Dans le débat standard de la métaphysique de l’esprit, les propriétés mentales doivent alors survenir sur les propriétés physiques. Cela signifie que nécessairement si quelque chose possède une propriété mentale M, cette chose possède aussi une propriété physique P et nécessairement toute chose ayant cette propriété physique P possède également cette propriété mentale M (la nécessité en question se comprenant ici comme une nécessité métaphysique).

L’engagement physicaliste associé à la survenance a alors pour conséquence l’abandon du dualisme des substances. En effet, la survenance comme nécessité métaphysique revient à affirmer qu’aucune chose ou système ne peut posséder des propriétés mentales seules. De plus, quelle que soit la propriété physique P sur laquelle survient la propriété mentale M, la première est nécessairement suffisante pour la seconde. Cependant, la propriété M pourrait survenir sur une autre propriété physique que P. Cette dernière caractéristique de nécessitation asymétrique est à la base de la thèse du physicalisme non réductible. En effet, le dualisme des propriétés défendu au moyen de cette thèse, distingue les propriétés mentales des propriétés physique (i) parce qu’elles peuvent survenir sur des bases physiques différentes et que (ii) elles ne sont pas réductibles à ces propriétés physiques.

Ce physicalisme est donc un physicalisme de l’identité des occurrences d’événements (un événement mental est aussi un événement physique) associé à la non réduction des propriétés mentales.

On pourrait alors penser, dans la mesure où le problème de la causalité mentale est intrinsèquement lié au dualisme des substances et que le physicalisme non réductible est incompatible avec ce dualisme, que l’on soit en possession d’une thèse permettant de rendre compte du succès de ce phénomène causal. Mais le problème de la causalité mentale se résout-il aussi facilement ?

Références

[1] Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 212.

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