De Platon à Kim : « Etre réel »

Première publication, novembre 2006 (révisée août 2015)

Si les entités mentales n’exercent pas un certain pouvoir causal dans le monde physique il devient alors difficile, d’un point de vue ontologique, de leur faire une place. Ainsi, tout comme Russell qui en son temps[1] voulait éliminer la relation de causalité en la traitant de « relique d’une époque révolue, survivant comme la monarchie, seulement parce qu’il est supposé qu’elle ne ferait plus aucun mal », nous pourrions être tenter, ironie du sort, de reprendre les mêmes termes afin de les appliquer aux entités causalement inertes. Le philosophe émergentiste Samuel Alexander[2] écrit :

… Supposons que si quelque chose existe dans la nature et qui n’a rien à faire, pas de but à servir, une espèce de noblesse dépendante du travail de ses inférieurs, mais qui est conservée pour l’apparence, elle serait avec le temps, sans aucun doute abolie.

Kim nomme « Dictum d’Alexander » un principe que l’on peut résumer ainsi : Etre réel est posséder des pouvoirs causaux.

L’efficacité causale de certaines entités pourrait donc fonder des raisons de croire à leur réalité. L’idée n’est pas neuve, l’Etranger de Platon (venu d’Elée) affirmait déjà :

Je dis que ce qui possède une puissance, quelle qu’elle soit d’agir sur n’importe quelle autre chose naturelle, soit de pâtir – même dans un degré minime, par l’action de l’agent le plus faible, et même si cela n’arrive qu’une seule fois – tout cela, je dis existe réellement. Et, par conséquent je pose comme définition qui définit les êtres que ceux-ci ne sont autre chose que puissance. (Le sophiste 247d-e)[3]

Platon

Armstrong[4], s’inspirant de Platon, formule quant à lui, le principe éléatique suivant :

Tout ce qui existe fait une différence aux pouvoirs causaux de quelque chose.

Ainsi, ce que Kim ou Armstrong posent comme principe métaphysique, est un lien entre pouvoir causal et réalité. Il semble en effet bien difficile de pouvoir détecter une propriété n’interagissant pas causalement. Armstrong affirme à propos des entités causalement inertes que « nous n’avons pas de bonnes raisons de postuler de telles entités[5] ». Autrement dit, les entités inertes « n’expliquent en aucune manière ce qui arrive dans monde naturel[6] ». Bref, elles n’effectuent pas véritablement de travail explicatif.

En conséquence, appliquer ces principes aux entités mentales, ne peut que nous contraindre à adopter un schéma ontologique « substantiel » à propos de ces entités.

Références

[1] 1912, « On the Notion of Cause », Mysticism and Logic, Unwin Book, 1963.

[2] 1920, Space, Time and Deity. 2 Vols. London: Macmillan.

[4] 1997, A world of State of Affairs, Cambridge, Cambridge University Press.

[5] 1989, A Combinatorial Theory of Possibility, Cambridge: Cambridge University Press, p. 7.

[6] Ibid. p. 8.

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