Véritable ou pseudo-processus causal

Première publication, décembre 2007 (révisée août 2015)

Si l’intuition de la régularité d’événements qui se succèdent est au fondement de la conception de la causalité comme dépendance contrefactuelle, une seconde intuition considère la cause comme produisant ou générant ou encore provoquant son effet. E. Anscombe décrit ainsi, la sorte d’« évidence » guidant cette intuition :

Il y a quelque chose à observer là et qui se trouve sous notre nez. Il faut y faire un peu attention, mais cette chose est si manifeste qu’elle peut sembler banale. C’est ceci : la causalité consiste dans la dérivation d’un effet de sa cause. C’est le cœur, la structure commune de la causalité dans ses différents genres. Les effets dérivent, proviennent, viennent de leurs causes.[1]

La conception de la causalité comme production se différencie donc de la conception contrefactuelle en considérant la causalité comme une véritable relation entre des événements. En principe, en établissant cette véritable relation nous devrions pouvoir écarter l’épiphénoménisme qui n’est, au fond, que la manifestation d’une pseudo-causalité.

Le philosophe des sciences Wesley Salmon[2], en soutenant cette conception de la causalité chercha un critère permettant de discriminer entre les processus d’apparence causale de ceux reflètent une authentique structure du monde.

Pour Salmon, un pseudo-processus ne transmet pas de marque. Un processus causal est un processus physique, semblable au mouvement d’une balle lancée dans l’espace et transmettant une marque de manière continue. Au premier abord, une marque apparaît comme une sorte de modification dans une structure, comme par exemple, une rayure sur la carrosserie d’une voiture. Un processus causal est alors ce qui peut transmettre une telle marque d’un endroit à un autre. Par contre, un pseudo processus causal sera impuissant à transmettre cette marque. Salmon  décrit parfaitement l’exemple d’un pseudo-processus causal[3] : un spot tournant diffuse un rayon lumineux de couleur blanche contre la paroi d’un cylindre. Le rayon de lumière blanche est un processus causal alors que le point lumineux projeté sur le mur est un pseudo-processus causal. En effet, lorsque l’on place un filtre rouge entre le spot et la paroi du mur, la marque rouge, apparaissant soudain sur la paroi, n’est pas transmise par le point lumineux se déplaçant sur le mur. Ainsi, alors que le véritable processus transmet une marque, le pseudo processus échoue à cette transmission. Un pseudo processus causal s’oppose donc à un véritable processus comme la succession des mouvements de l’ombre d’un objet mû sur un mur blanc s’oppose aux mouvements authentiques de l’objet. Kim[4] évoque le pseudo lien causal entre les reflets d’une personne dans un miroir ou celui de la succession des symptômes associée à une maladie. Il s’agit, dans ces deux cas, seulement d’une apparence de connexion causale masquant le véritable processus, en l’occurrence la personne ou la cause du symptôme.

Un exemple de pseudo-processus causal est particulièrement bien illustré par la reproduction des traits phénotypiques dans la descendance. En effet, le phénotype est la forme visible du gène. C’est le génotype des parents qui est à l’origine de leur phénotype. Mais la propriété, par exemple, d’avoir des yeux bleus, qui est un trait phénotypique, peut être invoquée comme propriété pertinente de la présence des yeux bleus dans la descendance. Le phénotype des yeux bleus des parents causant le phénotype des yeux bleus dans la descendance est un pseudo processus causal. C’est la présence d’un gène particulier chez les parents qui cause la couleur des yeux des enfants.

Références

[1]  1971, « Causality and Determination », in Sosa et Tooley, Causation, Oxford U. P., 1993, p. 91-92.

[2]  1984, Scientific Explanation and the Causal Structure of the World, Princeton: Princeton University Press.

[3] Ibid., p. 141.

[4] 1984) « Epiphenomenal and Supervenient Causation », in Kim (1994), Supervenience and Mind, Selected Essays, Cambridge, Cambridge University Press, p. 93.

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