Les tropes comme propriétés de la causalité

Première publication, mars 2008 (révisée août 2015)

A un niveau très général, ce qui constitue les relata de la relation causale ce sont, selon les théories, des particuliers datés qui sont des événements ou des faits qui sont comme des propositions vraies. Les seconds se distinguent des premiers comme entités abstraites. Les premiers, en revanche, sont concrets. Pour Davidson (1967), un fait, en tant qu’entité abstraite, ne peut pas être la cause d’un effet. Dans un sens, en effet, si on comprend la relation causale comme une relation entre deux événements concrets, ce qui est causé ne peut être une proposition. Pour l’heure, intéressons-nous aux relata de la causalité comme événements.

Selon la théorie des tropes, les propriétés particulières sont elles-mêmes des particuliers spatio-temporels. En conséquence, dans la relation causale, ce sont les tropes qui jouent le rôle causal. Autrement dit, lorsque dans les relata de la causalité on inclut, par exemple, la vitesse d’une pierre lancée, cette expression doit se comprendre comme ne se référant pas à un universel. Les relata de la causalité sont les propriétés des objets et des événements et non le fait de posséder telle propriété particulière ou de posséder un universel partagé par ces objets ou ces événements. On peut alors considérer que les relata de la causalité sont simplement les propriétés des objets. Ted Honderich écrit :

La réponse la plus naturelle et explicite à la question de ce qui a causé quelque chose, alors est simplement la propriété ou la relation d’une chose ordinaire.[1]

Autrement dit, ce n’est pas la propriété générale ou universelle de peser 80 kg qui creuse la neige, par exemple, lorsque je marche sur un sol enneigé. Ce qui marque ainsi la neige, c’est la masse de mon corps, propriété particulière ou individuelle, et absolument rien d’autre.

Introduire des tropes comme propriétés de la causalité fait alors subir à la notion d’événement une modification métaphysique. En effet, si l’on considère, suivant Kim, que l’événement est une instance de propriété universelle à un instant t, deux événements kimiens seront identiques s’ils sont l’instanciation de la même propriété par le même objet au même instant. Cette individuation très fine de l’événement par la relation d’exemplification à l’universel se distingue de l’individuation par les tropes. Les relata de la causalité sont donc différents si l’on introduit les tropes. En effet, lorsque nous parlons d’occurrence de causalité singulière et non de généralisation causale, c’est-à-dire d’une relation qui existe « en vertu du caractère intrinsèque de la paire cause-effet »[2], nous utilisons les tropes comme relata. K. Campbell le décrit ainsi :

Quand vous la laissez tomber, c’est le poids de cette brique particulière, non les briques ou les poids en général, qui casse l’os particulier de votre gros orteil gauche[3].

Ainsi, pour la théorie des propriétés particulières, le trope est l’instance non séparée du particulier. Et parce que le trope est non répétable, et que son principe d’individuation est spatio-temporel, on peut donc identifier l’événement de la causalité comme un trope. Erhing l’explique ainsi :

Les relata causaux incluent, par exemple, la vélocité de la balle et la blancheur de cette page. Et ces expressions sont comprises comme se ne référant pas à des universaux. Les relata causaux sont les propriétés des objets (et des événements), non comme étant telle propriété particularisée ou comme étant un universel par un objet ou un événement. La cause de la blancheur de la neige est une blancheur particulière, mais non l’exemplification de l’universel ‘blancheur’ par la neige. Les causes sont les propriétés individuelles, non les exemplifications de propriétés.[4]

Références

[1] 1988, A Theory of Determinism: The Mind, Neuroscience, and Life-Hopes, Oxford: Clarendon Press, p. 15.

[2] 1998, « Are Humean Doubts about Singular Causation Justified ? », Communication and Cognition, 31, p. 240.

[3] 1990, Abstract Particulars, Oxford: Basil Blackwell, p. 113.

[4] 1997, Causation and Persistence: A Theory of Causation, New York: Oxford University Press, p. 83.

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