La Place des lois selon Anscombe et Davidson

Première publication, septembre 2008 (révisée août 2015)

Davidson

Pour Davidson[1], l’événement d’un court-circuit causant un incendie par exemple, est l’occurrence d’une loi régulière disant que « tous les courts-circuits de ce type C provoquent des feux de ce type E ». Ainsi, selon cette interprétation de la causalité, une occurrence de relation causale particulière, c cause e,  survient ou est instanciée par une régularité qu’exprime une proposition générale. Autrement dit, si un événement en cause un autre, c’est qu’il existe une description D1 de c et une description D2 de e et qu’il existe une loi stricte disant que  tous les  événements qui tombent sous une description du type de D1 causent des événements qui tombent sous une description du type de D2.

Ainsi, l’explication causale relie des phrases plutôt que des événements. C’est ce point de vue « linguistique » qui empêche la prise en compte d’autre chose que la description de l’événement pour déterminer s’il existe ou non une relation causale entre les événements. Ainsi, les événements ne se trouvent pas soumis à des lois en tant que telles, mais seulement en tant qu’ils sont décrits d’une certaine manière.

anscombe

Anscombe, quant à elle, écrit :

Les effets dérivent, résultent, ou proviennent de leurs causes. […] l’analyse en termes de nécessité ou d’universalité ne nous dit rien de la dérivation de l’effet ; elle oublie plutôt le sujet. Ainsi, la nécessité serait les lois de nature ; au moyen de celle-ci, nous serions capables de dériver la connaissance de l’effet de sa cause, ou vice versa, mais cela ne nous montre pas la cause comme source de l’effet.[2]

Pour Anscombe, une analyse de la relation causale doit être effectuée exclusivement en termes de causes et d’effets particuliers. Au lieu d’une réconciliation, entre les séquences de relations singulières, elle propose plutôt un divorce avec les lois causales :

Même un philosophe aussi perspicace […] que Davidson, dira, sans aucune raison du tout de dire cela, qu’une assertion causale singulière implique qu’il y a une proposition universelle vraie […] Une telle thèse a besoin de quelques raisons pour qu’on la croie.[3]

En effet, si les faits causaux singuliers ne sont pas déterminés par les lois, alors les lois ne sont pas nécessaires pour l’existence des faits causaux. Pour étayer cette thèse, Anscombe s’appuie principalement sur ce qu’elle considère comme l’« erreur » de Hume quant à ce qu’il est possible d’observer dans une relation causale. En effet, Hume, en pur empiriste, réclame que si « nous prétendons avoir quelque idée juste de cette efficacité, il nous faut produire un cas où l’efficacité peut se découvrir manifestement à l’esprit et où ses opérations soient évidentes pour notre conscience et notre sensation. »[4] Mais peut-on prétendre percevoir quelque efficacité comme on perçoit une tâche de couleur ? Anscombe répond que bien sûr il n’est pas possible à l’aide de quelque sense-datum de pouvoir observer ce que Hume nomme l’ « efficacité. » En revanche, nous appliquons à ce que nous observons une quantité de verbes d’actions comme « gratter, pousser, mouiller, porter, manger, brûler, renverser, empêcher, battre… »[5] (Ibid., p. 93) qui montre que nous possédons le concept de cause. Ainsi, l’utilisation de ces concepts ne présuppose ni la connaissance de propositions générales ni l’existence de lois. Par conséquent, pour Anscombe, la relation causale apparaît comme une notion inanalysable, et donc irréductible.

La thèse d’Anscombe, se fondant uniquement sur le caractère local de la relation causale, ouvre donc une césure profonde entre ce qu’affirment les lois et ce que sont les séquences singulières de relation causale. Cependant, le cœur de cible des attaques d’Anscombe est la thèse humienne et régulariste des lois causales. En effet, l’affirmation du caractère essentiellement intrinsèque de la relation causale semble retirer aux lois tout rôle prescriptif. Pour Anscombe, l’occurrence de l’effet est entièrement expliquée par l’occurrence de la cause. Autrement dit, la nécessité de l’effet est exclusivement contenue dans la cause. Cependant, nous aurions besoin d’en savoir davantage, au sujet de la nature intrinsèque de la relation causale singulière.

Néanmoins, ce que nous montre l’opposition Anscombe/Davidson c’est l’existence de deux intuitions, au sujet de la relation causale singulière, tirant chacune dans deux directions : d’un côté, le caractère nomologique (Davidson) et, de l’autre, le caractère strictement local de la relation causale (Anscombe). Au-delà de ces deux intuitions, on peut se demander quelles structures possédées par les événements entrant dans la relation causale, confèrent ce pouvoir causal ?

Références

[1] 1967, « Causal Relations », Journal of Philosophy, 64, p. 691-703, trad. française P. Engel, Actions et événements, Paris, P.U.F., 1993.

[2] 1971, « Causality and Determination », in Sosa et Tooley, 1993, p. 92.

[3] Ibid., p. 104.

[4] 1739, Treatrise of Human Nature, L.A. Selby-Bigge et P.H. Nidditch (eds), Oxford, Clarendon Press, 1955, trad. française P. Baranger et P. Saltel, Paris, Garnier Flammarion, 1995, p. 233.

[5] Op. cit., Anscombe, p. 93.

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