What is It Like to Be a Water Lily ? (II)

Philosophie de l’esprit et philosophie de la botanique

Le phototropisme est la capacité d'un organisme (ex: plantes, champignons) à s'orienter par rapport à la lumière.

Bien que les termes employés par Fechner — tels que « l’âme des plantes[1] » — et sa conception physico-théologique de la nature ne correspondent pas exactement aux catégories élaborées par la philosophie contemporaine de la botanique et de l’esprit, son argument selon lequel les plantes possèdent une forme de vie intérieure présente une convergence notable avec certains débats récents autour de la nouvelle brèche provocatrice pour la méthode scientifique standard : la neurobiologie végétale. Cette approche bien que controversée[2] invite à reconsidérer en profondeur notre relation aux végétaux.

Les débats concernant l’explication du comportement végétal s’inscrivent principalement en réaction au cadre épistémique dominant, caractérisé par un réductionnisme de type béhavioriste[3]. Cette approche, qu’elle soit qualifiée aussi de comportementalisme, se limite strictement à la description et à l’analyse des comportements observables, les considérant uniquement comme une réaction mesurable. Dans ce cadre, il est alors fait appel aux dispositions comportementales qui deviennent semblables à des lois permettant d’élaborer une science objective du comportement. Par exemple, le phototropisme d’une plante sera interprété exclusivement en termes de relation observable entre la lumière et l’inclinaison de la tige, excluant ainsi toute hypothèse quant à des processus causaux internes.

Les interrogations, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Fechner, relatives à la « vie psychique des plantes » ou, plus largement, à la subjectivité des êtres vivants, sont étroitement liées à l’observation des réactions qu’un individu manifeste dans son environnement : son comportement. Un individu est, entre autres, considéré comme vivant lorsque dans un milieu donné, il produit un ensemble de mouvements réactifs, dont certains sont qualifiés de comportements. On distingue ces derniers des réflexes, qui ne sont pas considérés comme de véritables comportements, car ils sont difficilement réductibles à de simples événements physiques et semblent impliquer autre chose. Or il existe toujours une explication physique complète des mouvements observés[4], ce qui, d’un point de vue physicaliste rend d’emblée flottante le concept même de comportement lorsqu’il est justifié par cet « autre chose ».

Alors qu’une explication rend compte du comment un mouvement chez un animal se produit ou est inhibé, une autre ouvre la question du pourquoi. Or, répondre à cette seconde question peut nous conduire à mobiliser des notions telles que le désir, l’intention, l’émotion ou la croyance, c’est-à-dire un ensemble de termes relevant du domaine du mental. Le comportement ne se réduit donc pas à un simple mouvement et paraît inclure un certain travail interne. Sa définition implique alors la prise en compte d’un type d’action dans lequel l’esprit est supposé présent. Dès lors, le terme de comportement peut être entendu soit dans un sens strictement physique, soit dans celui de « véritable comportement », au risque d’y inclure un élément par nature difficile à mesurer.

Une approche réductionniste cherchera à expliquer la notion de comportement du vivant sans recourir à des entités jugées incertaines ou spéculatives relevant du domaine de l’esprit. Toutefois, en réponse au béhaviorisme qui néglige la dimension interne, le fonctionnalisme va proposer une interprétation de l’esprit, chez les animaux, comme système fonctionnel dont le rôle est associé à l’activité d’un système nerveux central suffisamment complexe. En conséquence par extension, pour les plantes, dépourvues de système nerveux, l’hypothèse d’un sens interne subjectif est dès lors considérée comme dénuée de pertinence.

L’explication du comportement d’un animal humain par une cause interne peut alors requérir des termes mentaux tels que les croyances, les désirs, les intentions, et autres états que l’on peut placer dans une relation entre les perceptions et les réponses de l’organisme. La fonction causale exercée par ces états peut alors être assimilée à un traitement d’information, multiréalisable et dénué d’essence intrinsèque. Appliqué aux plantes, un processus fonctionnel similaire pourra être, par exemple, le résultat d’un afflux de lumière ayant comme résultat la courbure de la tige. Une substance à l’intérieur de la plante (auxine) agissant sur ce mouvement peut alors être considérée comme un occupant de ce rôle fonctionnel. Ainsi, dans un cadre fonctionnaliste, les plantes peuvent présenter des processus analogues aux animaux vivants.

Une telle approche, faisant état d’un processus interne – ici fonctionnel – constitue une objection solide à un réductionnisme radical qui a longtemps renforcé l’idée d’une séparation nette entre les humains, les animaux et les plantes. Patricia Churchland, par exemple à l’époque contemporaine, inscrivant sa recherche en philosophie de l’esprit dans une perspective similaire, souligne par exemple que « […] les animaux sont des êtres en mouvement ; ils se nourrissent, fuient, se battent et se reproduisent en bougeant les parties de leur corps en fonction de leurs besoins physiques. Ce modus vivendi est très différent de celui des plantes, qui prennent la vie comme elle vient[5]. » Dans cette conception, les plantes apparaissent comme des êtres indolents, fixés à un substrat, insensibles et inertes, se laissant porter au gré des aléas du milieu dans lequel elles croissent. Cette supposée passivité a aussi, à l’époque moderne, servi de justification à la hiérarchie établie entre plantes et animaux[6]. Incapable de rompre son lien avec la terre, l’eau et la lumière, la plante, affirme Hegel[7], ne pourrait entretenir avec le monde extérieur une relation interrompue que si elle existait en tant qu’entité subjective, c’est-à-dire si, en tant que soi, elle avait un rapport à elle-même. À l’inverse, Fechner, en affirmant que l’âme des plantes se manifeste proportionnellement à leur niveau d’organisation biologique, rejette cette conception discontinue du vivant, et soutient l’unité de l’organisme végétal.[8]

Cependant, si le fonctionnalisme offre un cadre explicatif robuste pour comprendre les états mentaux intentionnels chez les animaux, demeure la question de savoir dans quelle mesure cette théorie peut être appliquée au monde végétal. La neurobiologie végétale n’a pas pour objectif de transposer directement vers les plantes la notion d’états mentaux telle qu’elle est définie par le fonctionnalisme — croyances, désirs, intentions ou encore facultés de raisonnement reposant sur le langage représentationnel. Elle vise toutefois à étendre au monde végétal l’idée d’une forme de cognition. Cette perspective suppose de reconnaître chez les plantes une certaine part d’agentivité, impliquant des capacités comme la perception, la mémoire, l’évaluation, l’apprentissage, la prise de décision, voire une forme d’intelligence. Mais dans quelle mesure l’emploi du terme intelligence pour qualifier les comportements des plantes peut-il être considéré comme scientifiquement légitime ?


[1] Voir, Léo Errera, « Les plantes ont-elles une âme ?», 1910, dans Philosophie du végétal, Op. Cit., p. 139-146.

[2] Pour entrer dans la discussion, voir A. Alpi et al., « Plant neurobiology : no brain, no gain ? », Trends in Plant Science 12, p. 135-136 ; et S. Manusco et al., « Response to Alpi et al.: Plant neurobiology: the gain is more than the name » Trends in Plant Science, 2007.

[3] Du comportement végétal à l’intelligence des plantes, Op. Cit., p. 64.

[4] Pour mieux comprendre le principe de clôture causale du domaine physique, voir François Loth, « Causalité mentale (A )», dans Maxime Kristanek (dir.), l’Encyclopédie philosophique, 2016, consulté le 15/08/2025, https://encyclo-philo.fr/causalite-mentale-a

[5] Brain-wise: Studies in neurophilosophy, Cambridge, MA, MIT Press, 2002, p. 70.

[6] Du comportement végétal à l’intelligence des plantes, Op. Cit., p. 13.

[7] La philosophie de la Nature.

[8] Nanna, Op. Cit., p. 143.

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